Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de la Knesset,
Mesdames et messieurs,
Pour cette première visite d’un chef de l’État français au peuple d’Israël, sur sa terre et chez lui, je veux vous dire, mesdames et messieurs les députés, l’honneur que je ressens d’être votre hôte et, du haut de la tribune qui symbolise votre démocratie, de pouvoir ici saluer en vous les représentants de ce peuple noble et fier dans sa plénitude et sa diversité.
Je vous remercie, monsieur le président, des paroles que vous venez de prononcer. Vous avez eu raison de rappeler que nos pays n’avaient pas eu besoin d’attendre les fastes officiels pour s’estimer et se comprendre. Pour se reconnaître et pour se rencontrer. Que de fois en effet, l’histoire n’a-t-elle pas associé nos efforts, assemblé nos espoirs, réuni nos destins. Au cours du dernier tiers de siècle des liens personnels et innombrables se sont tissés entre la France et Israël, mais aussi des liens organiques et publics. C’est ainsi que la France s’est affirmée dès le point de départ comme l’un des plus constants défenseurs de votre entrée en tant que peuple indépendant, maître de ses choix dans la communauté des nations. C’est ainsi qu’elle a été l’une des premières à établir des relations diplomatiques avec votre jeune État, devancée, je crois, de justesse – comme on s’empressait à l’époque – par l’Union soviétique et les États-Unis d’Amérique. Elle a contribué par la suite, comme elle devait le faire, mais en y ajoutant cette inestimable valeur qui se nomme l’amitié, à affermir votre présence sur la scène du monde et à garantir votre sécurité. Je rappelle ces faits, non pour en tirer gloire ou pour solliciter je ne sais quelle gratitude. Israël doit d’abord d’exister à la vaillance de ses fils, au labeur de son peuple, à la fidélité d’une indéracinable espérance. Mais quand il lui fallut dénombrer ses forces et ses amis pour accomplir l’ultime étape, celle du droit reconnu sur son sol retrouvé, la France, mesdames et messieurs, la France était à ses côtés.
Oui, le peuple français est l’ami du peuple d’Israël. Encore marqué du souvenir des années noires et des cruelles épreuves des communautés juives, le peuple français d’un seul cÅ“ur a vibré lors de la création de l’État d’Israël. L’holocauste est dans son esprit indissociable de votre renaissance. Il n’a pas cessé depuis lors d’admirer les travaux qui ont été autant de signes de votre vitalité, de votre foi dans l’avenir. Désormais Israël vit et nous, la France, nous ne ménagerons pas plus qu’hier nos efforts pour que son droit à l’existence soit universellement admis sans équivoque et donc pour que soit reconnu du même coup son droit à détenir les moyens de cette existence. Dirai-je maintenant, par souci d’équilibre, ce que la France, ce que l’Europe, ce que la civilisation d’Occident dont nous nous réclamons et qui nous a formés, doivent à la large trace du peuple juif au travers de 3 millénaires et davantage encore jusqu’à ce jour entre les jours où – dans la nuit des temps – apparut la lumière qui nous éclaire encore. Mais ne faisons pas le compte de nos mérites respectifs. Je retiendrai de tout cela que nos relations sont fondées sur l’échange. Histoire, culture, recherche de toute explication dans l’unité du monde et de soi, façon d’être et de vivre, société organisée autour de l’homme et faite pour lui, primauté enfin de la raison qui, parce qu’elle est raison, sait où s’arrête son pouvoir, voilà qui justifie le besoin qu’ont l’un de l’autre, nos deux peuples. C’est ce besoin qui leur a permis d’étendre, de proche en proche, leur commun domaine, qu’il touche aux arts, aux lettres, aux sciences, aux techniques, à l’économie, aux -rapports sociaux, ou qu’il atteigne ces dimensions culturelles ou spirituelles dont le meilleur de notre action s’est toujours inspiré.
Il y avait, vous le voyez, de multiples raisons, pour que je réponde à votre invitation. Mais j’ajouterai celle-ci. Il était temps qu’après une longue, trop longue absence, la France en la personne de ses plus hauts représentants reprît sa place parmi vous. 70 000 Français vivent en Israël. Notre langue y est largement comprise et pratiquée. Nos ambassades entretiennent un dialogue permanent. Nos gouvernements s’informent et se consultent. Et pourtant notre discours, qui se nourrissait de plus en plus d’aimables références au passé, finissait par ressembler à des tics de langage ou à des clauses de style. Nous nous abritions derrière notre amitié tout en faisant semblant de ne plus nous connaître. Bref, il devenait urgent de parler au présent. C’est ce que je fais maintenant.
Qu’il soit bien clair, pour commencer, que lorsque je m’adresse à vos compatriotes, dont l’hospitalité me flatte, c’est pour leur dire qu’il appartient à ceux qui vivent dans cette région du monde de débattre et, si possible, de régler les affaires qui les concernent. La France le pourrait, qu’elle ne chercherait pas à se substituer aux peuples intéressés et, lorsqu’elles ont à s’exprimer, aux institutions internationales.
C’est pour elle question de principe. La paix, la liberté, la justice ne se traitent pas par procuration. Pas davantage la France ne vient ici en donneuse de leçons, ou en distributrice du blâme et de l’éloge. Enfin, elle ne se pose, je l’ai plusieurs fois répété, ni en arbitre, ni en médiateur entre des peuples et des États qui restent libres, avant tout, de leur propre démarche. Simplement, la France est du petit nombre de pays qui par leur position, leur poids historique, leurs amitiés, leurs intérêts ont de longue date été désignés comme les interlocuteurs traditionnels des peuples du Proche-Orient. Elle entretient avec la plupart d’entre eux d’actives et bonnes relations. Appelée en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à examiner les causes et la -nature des conflits qui les opposent, elle se sent aussi comptable de la paix.
On m’a objecté, lorsque j’ai décidé de venir chez vous, que j’approuvais par là l’ensemble des aspects de votre politique. Mais vous ne m’en demandiez pas tant | Et je me suis étonné de mon côté de cette curieuse façon de mêler ce qui est distinct. De quel pays, oserais-je dire que j’approuve tout ce qu’il fait ? De quel pays exigerais-je qu’il se déclarât en accord sur toute chose avec moi ? Ayons de nos échanges, mesdames et messieurs, une conception plus simple et plus saine. Une visite d’État a généralement pour objet de rapprocher les points de vue, ce qui suppose qu’ils étaient différents. Quand il s’agit d’alliés ou d’amis cette visite doit permettre d’accroître le champ des convergences jugées plus importantes et toujours préférables aux inévitables divergences. Il est donc normal que j’aie, au nom de la France, une opinion sur les problèmes majeurs de votre région et que je la fasse connaître. Étant admis une fois pour toutes que j’exprime cette opinion dans le respect des droits fondamentaux qui s’imposent à moi comme aux autres et dont le premier me semble-t-il, est pour chacun l’irréductible droit de vivre.
Ce droit, mesdames et messieurs, c’est le vôtre. Il est celui des peuples qui vous entourent. Et je pense, bien entendu, prononçant ces mots, aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, comme je pense, bien que les réalités juridiques et politiques ne soient pas les mêmes, au peuple du Liban.
Mais avant de m’engager plus avant dans cette réflexion je voudrais exposer les raisons pour lesquelles j’ai pris à l’égard d’Israël des positions dont nul n’ignore qu’elles ont été contestées, soit par les uns, soit par les autres.
Pourquoi en 1947, membre du gouvernement de mon pays, ai-je été, vous le rappeliez monsieur le Premier ministre hier, pourquoi ai-je été avec Édouard DEPREUX l’un des deux ministres à plaider et à obtenir asile pour l’Exodus ? Parce que je ne supportais pas que ces hommes et ces femmes en quête de libertés fussent chassés de partout, rejetés du droit d’être eux-mêmes par ceux qui avaient plein la bouche de grands mots et de grands principes.
Pourquoi en 1978 ai-je approuvé, seul des responsables des grandes organisations politiques françaises, l’accord de Camp David ? Parce que je pensais que ceux qui se faisaient la guerre avaient aussi le droit de se faire la paix et de se rapprocher pour tenter d’apporter une réponse au problème palestinien.
Pourquoi en 1980 ai-je regretté que la conférence de Venise ait implicitement rejeté au bénéfice d’une négociation globale, la procédure de Camp David ? Parce que je préférais une paix qui se fait peu à peu à une paix qui ne se fait pas du tout. Une négociation réelle à une négociation incertaine, sans récuser pour autant l’accord global, en fin de-compte.
Pourquoi, Président de la République, ai-je en 1981 refusé d’associer plus longtemps la France au boycott commercial qui frappait Israël ? Parce que ma règle est de ne consentir en aucune circonstance à quelle que discrimination que ce soit contre un peuple honorable. Pourquoi ai-je consenti à ce que la France participât à la force neutre du Sinaï ? Parce que nous sommes volontaires chaque fois qu’il convient d’aider un processus de paix. Pourquoi enfin ai-je accepté l’invitation de MM. NAVON et BEGIN de me rendre en 1982 en Israël ? Nous voici revenus à mon point de départ. Il n’y a pas pour la France d’interdit. Son devoir est de tenir, et toujours et partout un seul et même langage.
Ce développement vous indique la direction qu’il prend. Pourquoi ai-je souhaité que les habitants arabes de Cisjordanie et de Gaza disposent d’une patrie ? Parce qu’on ne peut demander à quiconque de renoncer à son identité ni répondre à sa place à la question posée. Il appartient, je le redis aux Palestiniens comme aux autres, de quelque origine qu’ils soient, de décider eux-mêmes de leur sort. A l’unique condition qu’ils inscrivent leur droit dans le respect du droit des autres, dans le respect de la loi internationale et dans le dialogue substitué à la violence. Je n’ai pas plus qu’un autre à trancher qui représente ce peuple et qui ne le représente pas. Comment l’OLP, par exemple, qui parle au nom des combattants, peut-elle espérer s’asseoir à la table des négociations tant qu’elle déniera le principal à Israël qui est le droit d’exister et les moyens de sa sécurité ? Le dialogue suppose la reconnaissance préalable et mutuelle du droit de l’autre à l’existence, le renoncement préalable et mutuel à la guerre directe ou indirecte, étant entendu que chacun retrouvera sa liberté d’agir en cas d’échec. Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit ce qui, pour les Palestiniens comme pour les autres, peut le moment venu signifier un Etat. La France approuvera ce qui sera dialogue ou approche de dialogue comme elle observera avec inquiétude toute action unilatérale qui de part ou d’autre retarderait l’heure de la paix.
De même, nul ne peut décider des frontières et des conditions qui, à partir de la résolution 242 de l’ONU, s’imposeront aux parties en cause. Ce sera l’affaire des négociateurs et d’eux seuls. «N’excluez de la négociation aucun sujet quel qu’il soit. Je propose au nom de l’immense -majorité des membres du Parlement que tout soit négociable», disiez-vous, ici même, monsieur le Premier ministre, vous adressant au président SADATE, le 20 novembre 1977. Je ne sais s’il y a une réponse acceptable par tous au problème palestinien. Mais nul doute qu’il y a problème et que non résolu il pèsera d’un poids tragique et durable sur cette région du monde. J’en parle non seulement parce que j’obéis à ce que je crois être mon devoir, mais aussi parce que la paix mondiale, déjà si compromise voit s’accumuler de nouvelles menaces dans les secousses de l’Europe et dans les conflits multiples du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Toute crise locale, mesdames et messieurs, toute crise régionale qui dure attire comme un aimant les puissants de ce monde qui cherchent toute occasion d’exercer leurs rapports de force. Toute crise locale ou régionale qui dure échappe un jour à ses protagonistes au bénéfice de plus forts qu’eux.
Mais, nous ne devons pas oublier non plus les relations bilatérales entre nos deux pays. Ces relations, les ministres qui m-ont accompagnés, ont pu en discuter avec leurs homologues. Et ce qui s’est passé depuis hier, m’a démontré que la chaleur de votre accueil, la clarté de nos débats, la franchise de nos discussions, le ton même de notre langage, que ces relations bilatérales doivent se resserrer.
Pas davantage je ne veux taire m’adressant à ce Parlement, puisque je m’exprime au nom de mon pays, ce que sont les priorités de la France : une unité plus grande de la communauté d’Europe dont elle est membre, une alliance défensive de l’Atlantique plus cohérente, l’indépendance de ses décisions lorsque sa vie est en cause, les vÅ“ux qu’elle forme pour qu’aboutisse la négociation de Genève sur le désarmement, sa volonté de dire haut à l’Est ce qu’elle pense d’un système et d’actions qui nuisent aux droits de l’homme, qui nuisent aux droits des peuples et cependant notre volonté de préserver toute ses chances au dialogue qui à travers les siècles nous a toujours permis de parler à cette partie orientale de l’Europe. Je ne veux pas oublier davantage la préoccupation qui est mienne devant les freins qui aujourd’hui se joignent pour empêcher que se dégage une audacieuse et réaliste politique dans les relations du nord industriel et du tiers monde.
Si on refuse de réformer le système monétaire international, si on refuse les moyens de développer les capacités des pays pauvres qui ne produisent pas de pétrole, si on refuse de définir une politique de soutien des matières premières pour les pays qui ne vivent et ne se développent que sur l’une d’entre elle, de telle sorte que, l’impossibilité où ces pays se trouvent de dominer la spéculation qui s’abat sur eux, empêche tout plan de co-développement avec les pays industriels, on ira vers une crise insurmontable.
Mais je m’aperçois, avant de conclure, mesdames et messieurs, que je n’ai pas parlé de Jérusalem où nous sommes pourtant. La Bible a nourri mon enfance. A sa lecture j’avais appris que Jérusalem – dans votre langue c’est «Ir Shalom» terre de l’unité et des contradictions, éternelle, je l’espère, universelle assurément – apparaîtrait fatalement un jour, comme le lieu où se rassembleraient les frères séparés. Dans sa volonté farouche de survivre, votre peuple j’en suis sûr saura tirer de son génie les ressources d’intelligence et de courage qui changeront pour lui et pour d’autres, la peine en joie et l’angoisse en espoir.
Je connais nombre d’entre vous, nos chemins se sont souvent croisés, des amitiés se sont créées. Mais je m’adresse en cet instant au Parlement dans son entier, à la Knesset de l’État d’Israël. Au nom de la France, je fais confiance aux représentants de ce peuple pour qu’ils assurent selon leur idéal, le devenir d’Israël mais aussi, permettez-moi de vous le dire, confiance – parce que nul ne sait mieux de quoi je parle, n’a plus vécu que vous les siècles du passé et nul n’éprouve davantage les luttes d’aujourd’hui – pour que se rassemblent enfin les enfants dispersés et qu’à la culture et à l’histoire du peuple juif sache répondre la culture et l’histoire du grand peuple arabe, héritier de la grande civilisation qui, elle aussi, vous a formés.
Je voudrais, avant de conclure vous dire ces simples mots : «Hayim aroukin ve shalom le’am Israel. Hayim aroukin shalom le’amey ha-ezor» (longue vie au peuple d’Israel, longue vie aux peuples de la région»). Oui, shalom, amis et longue vie !