150e anniversaire du Parti social-démocrate allemand

FRANÇOIS HOLLANDE

Je mesure l’honneur qui m’est fait de m’exprimer ici, aux côtés de l’ensemble des autorités de la République Fédérale d’Allemagne pour célébrer le 150e anniversaire du SPD. Cette cérémonie transcende les clivages politiques, les calculs électoraux et les frontières géographiques. Elle renvoie une belle image de votre démocratie, dont vous pouvez être légitimement fiers.

Ma présence est une nouvelle preuve de la force de l’amitié franco-allemande qui nous permet d’évoquer, ensemble, les moments forts de nos histoires nationales.

Je suis ici aujourd’hui comme président de la République française, comme un socialiste qui sait ce qu’il doit à la social-démocratie et surtout comme un européen.

Car l’histoire du SPD, depuis sa création par Ferdinand Lassalle jusqu’à aujourd’hui est indissociable des grand débats qui ont traversé notre continent. Trois mots, trois valeurs, trois combats traduisent l’apport de la social-démocratie allemande au modèle européen.

Le premier, c’est la démocratie. Au moment où le mouvement ouvrier hésitait sur le chemin à suivre, sur la forme à donner à son organisation, sur la conduite à tenir face au régime parlementaire, le SPD a pris une décision majeure : il arrima l’idéal socialiste à l’idée démocratique, il lia l’aspiration à l’égalité à l’exigence de liberté. Il associa le progrès au suffrage universel.

Cette orientation eut une influence considérable. Elle inspira largement le socialisme en France. Jean Jaurès regardait avec admiration un parti qui était devenu en 1912 le groupe parlementaire le plus puissant d’Allemagne. Il imaginait qu’ensemble il serait possible d’empêcher l’éclatement de la guerre. Hélas, il fut assassiné avant que le déchainement des passions nationalistes emporte tout.

Plus tard, dans les moments tragiques de l’histoire allemande, les sociaux-démocrates défendirent jusqu’au bout la démocratie. Ses dirigeants allant jusqu’à préférer l’honneur à leur propre vie. C’est Otto Wels, alors président du SPD, qui, le 23 mars 1933, s’opposa au vote des pleins pouvoirs à Hitler au nom «des principes de l’Etat de droit, de la justice sociale et de l’humanité».

Décapité, pourchassé, exilé, le SPD exprima la résistance au nazisme, allant jusqu’à affirmer courageusement son soutien aux alliés dès le début de la seconde guerre mondiale sans jamais cesser de servir l’Allemagne.

Reconstitué à l’Ouest après la seconde guerre mondiale le SPD, au nom de la démocratie, refusa la fusion avec le parti communiste et, sous l’autorité de Kurt Schumacher, participa à la reconstruction de l’Allemagne sans jamais abandonner l’idée de parvenir, un jour, à la réunification.

Et le SPD avec Erich Ollenhauer n’eut aucun état d’âme à soutenir l’adhésion de l’Allemagne au marché commun. Il y voyait un moyen de renforcer la démocratie et de faire avancer le progrès. Car l’identité de la social-démocratie, c’est le progrès.

Au moment où fut fondé le SPD, le progrès c’était «la fixation de salaires minima, l’enseignement gratuit, l’assurance maladie, la liberté d’association, la réduction de la durée du travail, la création de coopératives de production». Tout cela fut acquis au cours des décennies qui suivirent et largement étendu à l’ensemble du continent européen.

Grâce à l’action et à l’influence du SPD, le progrès prit ensuite la forme de la démocratie sociale avec la reconnaissance des droits des salariés à être informés et consultés sur les choix stratégiques des entreprises, avec la culture du compromis pour faire évoluer le droit du travail et avec la négociation entre partenaires sociaux pour faire évoluer l’Etat providence.

Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles comme l’a montré Gerhard Schröder. On ne construit rien de solide en ignorant le réel.

Le réalisme c’est le troisième apport de la social-démocratie. Le réalisme n’est pas le renoncement à l’idéal, mais l’un des moyens les plus sûrs de l’atteindre. Le réformisme ce n’est pas l’acceptation d’une fatalité mais l’affirmation d’une volonté. Le compromis n’est pas un arrangement mais un dépassement.

C’est en 1959, à Bad-Godesberg que le grand pas fut franchi, à travers une déclaration, entrée dans l’histoire, et dont l’esprit tient en une idée simple : le marché autant qu’il est nécessaire ; la solidarité autant qu’elle est possible. Et une ambition : être le parti du peuple tout entier.

Que de fois, de bons esprits ont demandé aux socialistes français de faire à leur tour leur Bad-Godesberg comme preuve de leur réformisme ! Ce qu’ils ont d’ailleurs pourtant démontré chaque fois qu’ils ont exercé le pouvoir. C’est bien le signe de votre indéniable succès.

Je leur réponds que tout n’est pas transposable. Nos pays sont différents ; nos histoires ne sont pas interchangeables. Nos cultures politiques syndicales sont singulières. Mais je garde de la social-démocratie le sens du dialogue, la recherche du compromis et la synthèse permanente entre la performance économique et la justice sociale.

C’est cette démarche qui m’inspire pour la construction de l’Europe. Car nous avons une responsabilité particulière, nous, Français et Allemands. C’est notre amitié qui a permis l’Europe. C’est notre amitié qui, après des siècles d’affrontements dévastateurs, a rendu possible la paix : je n’oublie pas que cette année est aussi celle du bicentenaire de la » bataille des Nations » qui, ici à Leipzig en 1813, faucha plus de cent mille jeunes européens. C’est notre amitié qui a ouvert la voie à la réunification de l’Allemagne et à l’élargissement. C’est notre amitié qui a autorisé la monnaie unique : l’euro.

Dans cette belle Å“uvre commune, le SPD a pris toute sa part, avec de grandes personnalités qui font désormais parties du patrimoine politique et intellectuel de l’Europe. Dès 1969, Willy Brandt eut l’immense mérite d’engager l’ouverture à l’Est. Et en 1976, c’est Helmut Schmidt qui eut le courage d’imaginer, avec le président Giscard d’Estaing, le système monétaire européen.

La social-démocratie a fait avancer l’Europe. Mais elle ne l’a pas fait seule. Car l’Europe est une construction qui dépasse les clivages politiques, qui unit les peuples, qui oblige les gouvernements et notamment les nôtres à travailler ensemble. Nous sommes tous ici les héritiers de cette histoire. A nous d’être dignes des plus grands moments, comme celui du général de Gaulle et du chancelier Adenauer signant le traité de l’Elysée le 22 janvier 1963 ; ou l’image du chancelier Kohl et de François Mitterrand, se donnant la main, sur le champ de bataille de Verdun, le 22 septembre 1984. Et l’instant magique où le mur de Berlin s’effondra.

L’Europe a besoin de nous. Elle est la première puissance du monde. Mais elle subit une crise qui la fait douter d’elle-même. Et connaît un chômage qui l’éloigne des peuples. L’Europe doit entraîner le monde et non pas le subir.

Dans cette perspective, les valeurs que nous célébrons aujourd’hui, la démocratie, le progrès, le réalisme peuvent nous inspirer. Nous devons nous convaincre que la mise en commun de nos forces et de nos ressources apportera à nouveau le progrès. C’est le sens de l’intégration solidaire que j’ai proposée.

La France souhaite ouvrir cette discussion avec tous les Européens, et en premier lieu avec l’Allemagne. C’est cette ambition qui donnera son contenu à l’union politique. L’Europe a été capable, ces derniers mois, d’en finir avec l’instabilité financière. Elle a su apporter la preuve que les pays de l’Union n’abandonneraient jamais l’un des leurs à ses difficultés. Elle a introduit des règles et des disciplines en matière budgétaire et bancaire.

L’Europe doit désormais faire preuve de la même détermination pour donner priorité à la croissance et offrir à la jeunesse une nouvelle espérance. C’est le rôle des Etats mais aussi des partis politiques que d’y travailler sans relâche. Et je salue tous ces militants qui se dévouent de génération en génération à cette cause qu’est l’Europe. Et à cette belle idée du progrès. Je leur dis de ne jamais se désespérer et d’unir leurs forces face à l’égoïsme, au populisme et au nationalisme.

Si je n’avais qu’un seul message à vous transmettre aujourd’hui, un seul mot à vous dire, ce serait celui par lequel j’ai ouvert mon propos et par lequel je veux le clore : unité. Unie, l’Allemagne est devenue plus forte. Unies, la France et l’Allemagne feront avancer l’Europe. Unie, l’Europe sera capable de prolonger son histoire pour porter une grande ambition fondée sur la démocratie, le progrès et la solidarité.

Vive l’Allemagne !

Vive la France !

Vive l’amitié franco-allemande !

Es lebe Deutschland !

Es lebe Frankreich !

Es lebe die deutsch-französische Freundschaft !