Signature des traités de Rome

Messieurs,

Nous sommes réunis aujourd’hui pour signer deux traités dont l’importance dépasse largement celle de traités ordinaires.

Je voudrais tout d’abord prononcer quelques mots de remerciements.

Notre gratitude va en premier lieu au gouvernement italien, à la Ville de Rome et à ses citoyens pour le chaleureux accueil qu’ils nous offrent. L’Europe n’aurait pu trouver cadre plus digne de cette conférence que cette Ville honorée entre toutes. Si tant est que notre tâche aujourd’hui est de jeter les bases de l’avenir commun de l’Europe, le grandiose héritage commun dont Rome est le témoignage impérissable nous apparaît à la fois comme un avertissement et comme un espoir. Je voudrais aussi exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui ont collaboré à la rédaction des deux traités, aux chefs de délégation, aux experts qui ont participé, à Bruxelles et dans chaque État membre, à la mise au point des traités, ainsi qu’au secrétaire général de la Conférence et à ses collaborateurs. Tous ont, pendant de longs mois, consacré sans relâche le meilleur de leurs forces à l’accomplissement de la noble mission qui leur était impartie.

Enfin et surtout, je voudrais remercier l’homme qui présente ces traités à notre signature, j’ai nommé le Président Paul-Henri SPAAK.

Dans sa puissance de travail infatigable, sans son ardeur à la tâche, sans son aptitude à faire la part de ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas, sans sa faculté de trouver à propos le mot qui convient et le compromis qui s’impose, jamais la tâche n’aurait pu être menée à bonne fin.

Pendant tout le temps qu’elle a duré, la Conférence intergouvernementale de Bruxelles a été marquée du sceau de sa personnalité dynamique. Aussi a-t-il récolté le succès qu’il méritait. Pour cela, les hommes d’État européens et l’Europe entière lui doivent toute leur reconnaissance. Si l’on me permet d’employer la formule toute simple dans sa dignité, par laquelle la Rome antique avait coutume de conférer les plus hauts honneurs à ses consuls, je dirai alors : « l’homme d’État Paul-Henri Spaak a bien mérité de l’Europe ».

Voici donc devant nous les deux traités. Ils devront encore être entérinés par nos Parlements, mais nous avons bon espoir que ceux-ci donneront leur approbation.

Cette cérémonie de signature a la signification d’un moment dans l’histoire.

Certes, nous n’avons pas l’intention de nous tresser des lauriers à l’avance ; l’ampleur des tâches qui nous attendent encore nous l’interdit. Cependant, je voudrais malgré tout exprimer la joie qui nous est donnée de pouvoir franchir ce pas capital dans la voie de l’unification de l’Europe que constitue la signature des deux traités, car cette joie est partagée par des millions et des millions de personnes dans nos pays, qui sont avec nous en esprit en cet instant.

Il y a peu de temps encore, nombreux étaient ceux qui jugeaient irréalisable l’accord que nous consacrons officiellement aujourd’hui.

Après un glorieux début, qui reste à jamais lié aux noms des Présidents Schuman et de Gasperi, la volonté d’unification de l’Europe parut s’affaiblir. Même les négociations de Bruxelles ont été mises en doute par beaucoup. Mais ce sont les optimistes, et non les pessimistes, qui ont eu raison. La poursuite du but que le Préambule du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier nous avait déjà montré nous a conduit à créer, pour nos six États, une Communauté économique européenne et une Communauté européenne de l’énergie atomique. Ainsi prend naissance dans tous les domaines essentiels de la vie sociale et économique comme dans celui qui revêt tant d’importance pour l’évolution future de l’humanité, – le domaine atomique – une véritable fusion européenne qui vient compléter la simple coopération et qui porte en elle la garantie de la durée.

Les traités sont d’une portée étendue et complexe ; la richesse de la vie économique et technique moderne le veut ainsi. Il va de soi que tous les détails de cette vaste réglementation, sur laquelle six États ont dû se mettre d’accord, n’ont pu partout recevoir un accueil sans réserves. Il ne faut pas que les détails nous empêchent d’entrevoir toute l’ampleur du progrès accompli : car ce n’est qu’en renforçant inlassablement la solidarité de nos six États que nous sommes assurés de pouvoir sauvegarder nos libertés et notre progrès social.

Il tombe sous le sens que la lettre des traités ne suffit pas à cet égard. Ceux-ci doivent être traduits dans la réalité concrète. C’est avec ardeur et confiance que nous voulons aborder nos tâches. Nous savons à cet égard combien grave est notre situation, à laquelle seule l’unification de l’Europe permet de porter remède. Nous savons en outre que nos plans ne sont pas égoïstes, mais sont destinés à promouvoir le bien être du monde entier.

La Communauté européenne poursuit des fins exclusivement pacifiques. Elle n’est dirigée contre personne. Elle est ouverte à la coopération de tout Etat qui en manifestera le désir. Tous les États européens sont libres d’y adhérer. Au cas où un État ne se sentirait pas en mesure d’y adhérer entièrement, nous avons prévu la possibilité de réaliser avec lui une coopération étroite selon une formule différente, notamment par la création d’une zone de libre échange. Nous entendons coopérer avec tous les États du monde, afin d’assurer et de promouvoir le libre échange des marchandises à l’intérieur de la Communauté, conformément à la tradition qui est celle de nos États. Notre but est de collaborer avec tous en vue de promouvoir le progrès dans la paix.

Convaincus que nous atteindrons cet objectif, nous Allemands, avons un autre motif particulier d’espérer. Un jour comme celui-ci ne manque pas de nous rappeler douloureusement qu’il nous est encore refusé de prendre part à l’Europe unie en tant qu’Allemagne unie. Néanmoins, nous n’avons rien perdu de nos espoirs. Les 17 millions d’Allemands qui sont séparés de nous par contrainte, appartiennent eux aussi à notre Europe de par leur origine, leur éducation et leur volonté. Nous avons confiance que la voix de la justice et de la liberté et son écho auprès des peuples libres ne feront que gagner en force au sein de l’Europe unie.

Ainsi donc, ici aussi comme partout, l’unification de l’Europe est conforme et liée aux objectifs plus vastes du progrès dans la paix et la prospérité. En s’unissant aujourd’hui, l’Europe ne sert pas seulement ses propres intérêts et ceux des États qu’elle englobe, elle sert aussi le monde entier.

C’est dans cet esprit que nous signons les traités et c’est dans cet esprit que nous entreprendrons de les mettre en Å“uvre.