Les accords d’Evian et de la construction européenne

Mesdames, Messieurs, songeant aux charges de ma fonction, et gravissant pour la première fois de ma vie les degrés de cette tribune, je ne puis me défendre de quelque appréhension. :Mais les représentants élus du peuple ont le droit d’être informés sans délai et pleinement de la politique d’un nouveau gouvernement. J’ai tenu à venir m’en expliquer devant vous et la soumettre à votre verdict. Depuis des années, la politique de notre pays est dominée par la guerre d’Algérie. Sans doute, cette crise grave de notre vie nationale s’inscrit dans un cadre plus vaste qui est la mutation d’un monde où les populations autrefois colonisées par l’Europe ont pris conscience de leur personnalité et revendiqué l’indépendance comme le remède magique de tous leurs maux. Mais pour la France. L’Algérie est tout autre chose qu’une colonie. C’est une terre liée à la nôtre depuis plus de 130 années, et sur laquelle vivent un million de nos compatriotes.

Le drame né de la rébellion de 1954 ne pouvait donc se résoudre par la froide raison». Hélas ! Les réalités humaines historiques, géographiques ne permettent que rarement aux raisons du coeur de triompher seules. En fin de compte, au terme de sept années de souffrance, le cessez-le- feu est intervenu. Les dirigeants de la rébellion ont accepté le principe de l’autodétermination, conforme aux traditions; de notre pays et à l’évolution du monde. Ils ont accepté d’envisager l’avenir de l’Algérie sous la forme d’une coopération étroite avec la France.

Dans cette Algérie, nos compatriotes doivent avoir, et auront, la première place que leur, vaudront non pas; tellement les droits acquis, mais leurs capacités, leur amour de la terre algérienne. Leurs affinités, en dépit des heurts actuels, avec la communauté musulmane.

Tout cela a fait l’objet de ce qu’on appelle les accords d’Evian. Le gouvernement les a publiés ; le pays les a ratifiés par une majorité écrasante, avalisant ainsi la politique conçue et menée à bien par le Général de Gaulle. Le monde libre les a accueillis; comme une victoire de la France, victoire remportée bien sûr en partie sur elle-même, mais qui met fin à une crise tout au long de laquelle notre pays et notre peuple ont fait preuve d’un calme, d’un civisme, d’une dignité exemplaires.

Ces accords seront appliqués. Ils le seront jusqu’à leur terme. Ils le seront dans les délais voulus. Telle est la première résolution du gouvernement.

La seconde, c’est de se tourner vers les Français d’Algérie et de leur dire ce qui est arrivé était sans doute inévitable. La situation, en tout cas, est aujourd’hui irréversible. L ‘heure des regrets est révolue. Tournez-vous vers l’avenir. : Ne compromettez pas par des actes de folie désespérés le rôle qui est le vôtre, d’être un lien permanent entre la métropole et l’Algérie future, entre la France et le Maghreb, entre notre monde humaniste et chrétien et le monde musulman.

Les accords intervenus vous donnent les garanties nécessaires ; pour vos personnes et pour vos biens, et la France veillera sur le respect de ces garanties; jalousement et fermement. Si certains d’entre vous, si des musulmans aussi préfèrent quitter cette terre d’Algérie ou pourtant tout vous attache, la métropole vous accueillera.

Des mesures ont été prises; elles seront complétées, pour que votre installation soit facilitée au maximum. A persévérer dans l’agitation déplorable que connaissent à l’heure actuelle les villes d’Alger et d’Oran, vous ne faites que retarder le moment où il vous faudra bien accepter les faits, prendre conscience de ce que vous êtes et de ce que vous pouvez faire, assurer votre place dans l’Algérie de demain.

Mais, pour que ce langage puisse être entendu, il n’est pas de plus urgent devoir que de priser définitivement et sans recours l’organisation subversive qui, sous prétexte de défendre l’Algérie française, finira par rendre impossible la présence de Français en Algérie, qui, sous couleur de défendre l’intégrité du territoire, a failli briser l’unité nationale et déchaîner la guerre civile, qui enfin, comme unique moyen de faire prévaloir ses vues, a instauré le crime.

Le crime doit cesser. C’est après, et après seulement, que sera possible l’apaisement. L’action entreprise par les forces de l’ordre sera poursuivie sans défaillance. Elle a vous le savez, commencé à porter ses fruits. Cela fut possible grâce à la détermination des autorités de l’Etat, et d’abord de la plus haute, grâce à l’appui massif de l’opinion, grâce, il faut le répéter, au loyalisme de notre armée, à laquelle je veux ici rendre hommage.

Après; avoir, sans interruption, donné son sang depuis vingt ans, après avoir, sur le sol même de l’Algérie, démontré de façon éclatante, que la solution ne nous serait en tout cas jamais imposée par les armes. Elle a prouvé qu’elle était l’armée de la France et de la République et que sainement certains avaient pu espérer la dresser contre le pays et contre les institutions.

Demain, cette armée se regroupera pour l’essentiel sur le sol de la métropole. Libérée de tâches douloureuses, elle pourra se consacrer à ce qui est sa vocation, la défense nationale, gage de notre liberté et de notre existence même, en tant que nation. Cette tâche est immense. Elle est digne de nos officiers; comme de nos soldats.

La transformation des techniques et des stratégies nous impose et nous imposera des sacrifices pour doter cette année des armements modernes indispensables. Mais outre que cet effort peut se révéler en France comme ailleurs un stimulant pour notre recherche scientifique et notre progrès technique, particulièrement dans les domaines atomique et spatial, et qu’à ce titre les plans de la Défense nationale s’inscrivent dans un cadre d’ensemble, il est indispensable pour nous permettre de jouer notre rôle et de dissuader l’agression. Au-delà des querelles de mots, il n’y a pas un gouvernement qui, dans le passé, n’en ait eu conscience. Il n’y a pas un gouvernement qui demain, pourrait y renoncer.

Est-ce à dire, Mesdames, Messieurs, que la France puisse se suffire à elle-même à l’époque, des grands empires et des énormes menaces totalitaires ? Assurément non. C’est pourquoi l’Alliance atlantique reste un élément fondamental de notre politique, et s’il nous appartient de chercher à l’aménager pour mieux nous y situer, nous entendons être des alliés sûrs, fidèles, égaux en droit puisque nous serions égaux dans le danger. Tel est le premier principe de notre politique extérieure.

Il en est un autre non moins important, c’est l’Europe. En ce siècle où les continents se découvrent une conscience collective, l’Europe qui a dû renoncer à ses empires coloniaux et a cru, comme certains le croient encore, en France, y voir le signe de sa décadence, est en train de découvrir sa propre existence et ses capacités.

Il n’y a pas de terre au monde qui soit plus fertile en talents, depuis les chercheurs jusqu’aux travailleurs. Cette richesse humaine, accumulée par l’histoire et revigorée par les bouleversements; de notre époque, l’Europe doit en tirer parti collectivement. C’est ce qu’elle a commencé et les premiers résultats éclatent aux yeux.

Le Marché commun notamment s’est révélé pour tous, et pour notre pays en particulier un ferment de renouveau. A ce début de construction de l’Europe, notre pays a pris une part déterminante. C’est ainsi qu’il a pu faire passer dans les faits le Traité de Rome, se donner par la vaste réforme financière effectuée en décembre 1958 les moyens d’y faire face, promouvoir enfin avec nos partenaires un véritable Marché commun agricole, gage pour nous d’expansion harmonieuse et de santé sociale.

Les résultats obtenus sont tels que de nombreux pays souhaitent aujourd’hui participer à cette entreprise et qu’il n’est pas jusqu’à la vieille Angleterre qui ne redécouvre qu’elle fait partie de l’Europe. Nous n’en doutons pas pour notre part et nous sommes prêts à l’accueillir, sous réserve, bien sûr, qu’elle accepte les règles essentielles sans lesquelles le Marché Commun perdrait jusqu’à son sens.

Mais il faut aller au-delà et donner à l’Europe une existence politique, par la coopération organisée avec nos voisins, et d’abord entre les Six; nous y retrouvons des pays frères et amis de tradition, et aussi l’Allemagne, avec laquelle l’entente franche et durable qui s’est instaurée est une des conditions de la survie même de l’Europe.

Nos efforts en ce domaine, vous le savez, n’ont pas encore abouti, mais nous ne désespérons pas : l’avenir est pour nous. La conscience européenne s’est éveillée, elle ne s’assoupira plus.

Mais l’Europe n’est pas seule. Il y a à nos portes, l’Afrique, vers laquelle la France est tournée depuis longtemps. Notre passé, nos sympathies, la présence de nombreux Français sur la terre africaine nous commandent de resserrer nos liens anciens avec ce continent, qu’il s’agisse du Maroc et de la Tunisie ou des Républiques africaines et malgache avec lesquelles nous avons conclu des accords spéciaux. La présence d’un ministre d’Etat chargé de cette grande tâche de la coopération traduit l’importance que nous attachons à l’exécution de ces accords, utiles à tous et conformes aux traditions libérales de la France.

Travailler au sein de l’Alliance atlantique à l’établissement d’un climat de paix mondiale, construire une Europe réelle, dans la diversité de ses peuples et l’unité de sa civilisation, coopérer avec les jeunes Etats d’Afrique pour le bien commun, voilà des tâches d’avenir.

Car c’est bien d’avenir qu’il s’agit. L’heure est venue pour la France de construire d’abord son propre destin.

Ce destin, c’est d’abord la jeunesse. Notre peuple, jadis vieilli, est redevenu un peuple jeune. Il nous faut donner à cette jeunesse les moyens de la formation. L’éducation nationale sera au premier plan de notre action et j’entends m’y intéresser personnellement, par vocation, et parce que c’est un devoir.

L’effort entrepris par le Gouvernement précédent sera continué et accru, afin d’apporter à l’Université les moyens; dont elle a besoin. Nous devons avoir tous les jours plus d’écoles, tous les jours plus de maîtres. Nous devons développer et adapter l’enseignement technique. Nous devons donner à tous des chances égales et pour cela surmonter les inégalités de fortune, mais aussi les inégalités nées des conditions géographiques : le jeune provincial doit être mis à égalité avec le jeune Parisien, le jeune paysan avec le jeune citadin.

Les difficultés d’un tel programme sont immenses, alors surtout que les charges s’accumulent toutes à la fois sur nos épaules et qu’une génération peu nombreuse se doit d’assurer, en même temps qu’une subsistance digne de ses pères, l’avenir d’une vaste jeunesse. C’est pourquoi il ne faut pas seulement des programmes ambitieux, mais aussi des solutions provisoires, fussent-elles de fortune. Le tout repose sur un effort financier considérable, une volonté constante du gouvernement et le concours résolu de ce grand corps qu’est l’Université : mille liens m’y attachent. Je sais la conscience et le désintéressement dont font preuve instituteurs et professeurs. C’est avec leur collaboration étroite que l’oeuvre doit être entreprise et menée, mais avec le souci de s’arracher aux habitudes et d’adapter la notion indispensable de culture aux nécessités économiques et sociales de demain. Il n’y a là contradiction qu’en apparence pas plus qu’il n’y en a entre la recherche pure et la recherche appliquée qui, l’une et l’autre, doivent être développées dans la collaboration des universitaires, des ingénieurs, des industriels, sous l’impulsion de l’Etat.

C’est avec le même souci de regarder vers l’avenir que j’en viens aux problèmes d’ordre économique et social. Là encore il s’agit de dessiner les contours de la France de demain, tout en organisant l’expansion et une équitable répartition de ses fruits.

Bien entendu, la stabilité monétaire est une donnée de base. Elle a pu être instauré en 1958 dans les conditions que vous savez, après vingt ans d’inflation.

Le gouvernement de M. Michel Debré a su la maintenir et nous lègue une monnaie forte. Nous ne pouvons y renoncer, sous peine de retomber dans une inflation désastreuse pour les salariés et notamment pour ceux de la fonction publique, sous peine de ruiner notre place dans le Marché commun et de condamner la France au repliement économique et à l’effacement politique. Quelles que soient donc les circonstances, l’action du gouvernement devra rester compatible avec le maintien de la valeur du franc nouveau.

Mais une monnaie saine n’est pas une fin en soi. Elle n’est que l’instrument nécessaire d’une politique d’expansion, laquelle à son tour ne cherche pas sa fin en elle-même mais dans le progrès humain et social. Cette idée simple mais fondamentale est à la base de la politique que le gouvernement entend poursuivre : elle est à la base du plan dont vous allez bientôt vous saisir, sa réalisation dépend beaucoup de la manière dont l’Etat jouera son rôle.

Je ne crois pas en la matière à des règles universelles. L’action de l’Etat en période d’expansion peut paraître moins urgente qu’en période de dépression, mais en toute période l’Etat moderne ne peut se désintéresser de l’économie. Il ne le peut parce qu’il lui appartient précisément d’assurer et de contrôler l’expansion. A lui aussi de prévoir les conséquences sociales des disparités qui ne manquent pas de se produire et de tâcher que, tout en respectant le sens de l’évolution économique hors duquel il n’y a que misère à terme, les transformations des structures soient progressives et les inégalités corrigées.

Je pense à la transformation de notre agriculture, à la modernisation des circuits commerciaux, à la nécessité de rendre la vie à des régions entières, à l’attention et à l’aide particulières qu’il faut porter aux départements et aux territoires d’outre-mer, Tout cela doit être fait avec le sens des transitions indispensables et le souci d’éviter aux individus et aux professions les choses douloureux qui ont tristement marqué le XIXe siècle.

L’instrument essentiel dont dispose l’Etat pour accomplir les tâches qui lui incombent, c’est le plan dans lequel se dessinent le cadre et les objectifs de l’avenir français.

J’ai entendu marquer son importance en rattachant le commissariat au Plan au Premier Ministre. C’est ce commissariat qui doit être le cerveau de la politique économique et sociale, qui doit fixer les objectifs de production et d’investissement, qui doit proposer entre les différentes régions du pays une répartition des activités et des revenus équilibrés et cependant conforme à la vocation naturelle de ces régions. Par-là il anime l’aménagement du territoire : ici encore le gouvernement a marqué l’intérêt qu’il y porte par la désignation d’un ministre délégué auprès du Premier Ministre chargé de coordonner des activités administratives actuellement éparses et parfois contradictoires.

Mais si le rôle du plan est décisif son élaboration ne peut se faire en dehors des représentants du pays. Le gouvernement se propose d’associer le Parlement à la définition des objectifs du plan, de resserrer la collaboration avec les organisations professionnelles et syndicales, d’associer enfin à l’exécution du plan des collectivités locales et les comités d’expansion de telle manière que le planisme français garde et accentue sa caractéristique originale qui est d’unir la souplesse à l’efficacité.

Voilà pour les méthodes. Il convient maintenant de parler de la situation actuelle. Le temps ne m’a pas encore été donné -et vous voudrez bien m’en excuser -d’étudier complètement le dossier économique et social de la nation, bien qu’un premier examen m’ait permis de mesurer les réalisations du gouvernement de M. Michel Debré. Les statistiques de la production industrielle sont favorables dépassant les prévisions que l’on pouvait faire à l’automne. Notre commerce extérieur a, en mars, atteint des chiffres record, en valeur absolue, en même temps que nos exportations couvrent, et bien au-delà, nos importations.

Dans l’ordre social, des mesures importantes ont été prises : remboursement amélioré des frais médicaux par la Sécurité Sociale, augmentation des prestations familiales, majoration sensible des allocations destinées aux personnes âgées ou invalides, généralisation des retraites complémentaires, aides aux français rapatriés d’outre-mer, institution de l’assurance maladie et d’une allocation complémentaire de vieillesse pour les exploitants agricoles.

Je n’oublie ni l’effort entrepris en faveur de la fonction publique, ni les commencements d’une vaste réforme de notre agriculture, ni le dépôt d’un projet de loi sur l’intéressement des travailleurs qui sera examiné durant la présente session. En ce domaine économique et social plus qu’en aucun autre la tâche du gouvernement sera de continuer l’oeuvre de son prédécesseur, de la mettre en application et de la compléter.

Et tout d’abord nous entendons maintenir le taux d’expansion au rythme prévu par le plan et, si possible, 1’accentuer. tout en le contrôlant pour des raisons évidentes. D’ores et déjà, je puis dire qu’en 1962, nous nous fixons pour objectif un taux de croissance de 5,5 %. Ce taux est conforme à la moyenne prévue par le IVe Plan, mais supérieur à ce qui avait été envisagé pour cette première année. Nous prendrons donc de 1’avance.

Cette constatation nous contraindra à veiller sur le niveau des prix. La tendance à la hausse saisonnière, qu’a favorisée la persistance du froid, peut sans doute entraîner le mois prochain un franchissement de l’indice que nous ne chercherons pas à éviter par des mesures subalternes. Rien ne sert de nier les réalités économiques. Mais les perspectives pour les mois prochains sont nettement meilleures et compte tenu de la légère inflation permanente que connaissent d’autres pays, nous pouvons dire que les conditions d’une stabilité des prix existent et que nous sommes décidés à la maintenir.

Pour conserver en revanche à cette expansion le rythme voulu, nous aurons à nous préoccuper du problème des investissements, de leur masse, de leur orientation, peut-être aussi de mesures propres à stimuler les investissements privés dont la défaillance compromettrait la réalisation du plan.

Il n’est rien de plus important que d’assurer dans l’ensemble de cette expansion sa juste place à notre agriculture. En ce domaine, le problème social est étroitement lié aux problèmes économiques et à la politique dont vous avez fixé les grandes lignes par la loi d’orientation agricole et qui doit conduire à une progressive mais profonde transformation de nos structures. La loi sera appliquée. Des textes vous seront soumis dans le cours même de cette session, pour franchir une nouvelle étape et passer des principes aux réalisations. L’effort qui sera entrepris devra être à l’échelle du Marché commun agricole qui vient de démarrer, et sur l’avenir duquel nous veillerons scrupuleusement dans les négociations qui sont en cours entre les Six et l’Angleterre.

Le but de cette politique, vous l’avez défini dans la loi d’orientation : «Parité entre l’agriculture et les autres activités économiques.» Cela nous conduit à parler du partage des fruits de l’expansion, c’est-à-dire de la politique sociale. Dans ce domaine nous devons respecter deux priorités. Priorité doit être donnée aux classes, aux professions, aux catégories, aux régions défavorisées. Mais l’avenir ne doit pas pour autant être sacrifié.

L’avenir, c’est l’investissement, pour que les jeunes générations trouvent sans difficulté des emplois. C’est l’effort en faveur de l’éducation nationale, en faveur de l’équipement sportif, touristique, hospitalier, en faveur du logement, ce dernier s’inscrivant dans le cadre d’une véritable politique foncière, afin d’assurer à tous la propriété ou l’usage d’un logement convenable, tout en luttant contre la spéculation, particulièrement odieuse en la matière.

Dans le présent, nous pouvons affirmer que le développement de la production s’est traduit par une amélioration générale du niveau de vie. Le nier serait nier l’évidence et les statistiques les plus indiscutables déplacements pour les vacances, ventes d’automobiles, ventes de biens d’équipement ménager, ventes des grands magasins – le démontrent. Mais cette amélioration rendue possible par l’expansion et par la politique sociale antérieure ne s’est pas faite également. Or il convient en premier lieu d’assurer aux travailleurs une participation réelle et je dirai prioritaire à l’augmentation du produit national, Il faut ensuite faire le recensement exact et scrupuleux des catégories sacrifiées en faveur desquelles s’impose un effort particulier et sélectif.

Cela veut dire qu’au-delà des statistiques générales nous rechercherons concrètement les régions et les situations individuelles qui n’ont pas suivi la progression de l’économie et nous tâcherons d’y remédier. Pour cela, nous nous engagerons résolument dans une politique nationale des revenus. Il faut convenir, en effet, que l’expansion n’élimine pas forcément les situations les plus défavorisées et parfois même en aggrave certaines. Cette constatation est un fait, mais un fait que nous n’acceptons pas.

Une information claire, une discussion ouverte à toutes les parties intéressées. Une confrontation rationnelle et replacée dans un contexte d’ensemble des diverses revendications doivent permettre de réaliser l’accord sur celles qui méritent d’être satisfaites par priorité. Dès la fin de l’été, le gouvernement ouvrira cette confrontation au cours de laquelle seront évoqués aussi les problèmes que pose la situation des agents de la fonction publique et des grands services publics.

A ce propos, je tiens à dire que si les problèmes de rémunération et de carrière des agents de la fonction publique seront examinés dans le cadre de cette confrontation générale, la fonction publique constituera à tous égards un objet particulier de préoccupation pour le gouvernement. La restaurer dans sa dignité et dans ses disciplines, améliorer le rendement des services publics, en moderniser les méthodes sont parmi les impératifs de la gestion gouvernementale.

En matière sociale, le verbalisme est aisé. Mais les intentions l’emportent sur les mots et les réalisations sur les intentions. Nous sommes déterminés à aboutir avec, pour objectif explicite une élévation réelle et plus justement répartie du niveau de vie individuel et collectif.

J’en viens, Mesdames, Messieurs, à un sujet qui vous tient à coeur et qui est le fonctionnement même de notre jeune Constitution, approuvée en septembre 1958 par près de 80 % des suffrages et dont il vous appartient comme à nous de la bien appliquer.

Il faut sans doute tenir compte d’éléments d’exception. Le drame algérien en est un, qui fut à l’origine de nos nouvelles institutions et qui ne put trouver de solution sans l’intervention, comme dit Chateaubriand, d’un de ces hommes qui jaillissent des événements et qui sont les enfants spontanés du péril.

La présence du général de Gaulle assure à la France, à l’extérieur un prestige renforcé, à l’intérieur la sauvegarde de nos libertés, comme les événements l’ont à maintes reprises démontré. Mais au-delà de circonstances même historiques, la Constitution a entendu assurer à la politique de la France la continuité qui lui a trop souvent manqué et que tant d’hommes d’Etat ont réclamé à cette même tribune.

Or, l’action du Président de la République est un élément fondamental de cette continuité. Dans notre pays dont l’originalité mais aussi la faiblesse sont l’extrême diversité des opinions et le fractionnement qui en résulte des tendances politiques, la présence au sommet de l’Etat d’un pouvoir garant de ce qui est essentiel et permanent pour la nation comme pour la République est un facteur déterminant d’équilibre et de stabilité.

L’exemple de tous les grands pays nous prouve d’ailleurs que, par des procédés variables, – une telle autorité est partout présente et accompagnée souvent, même dans les plus vieilles démocraties, d’une concentration plus accentuée du pouvoir. Mais cette constatation, Mesdames, Messieurs, s’accompagne d’une autre : la Constitution a défini les droits et les devoirs du Parlement ainsi que les obligations du gouvernement dans ses rapports avec les Assemblées. Nommé par le chef de l’Etat, trouvant donc en lui sa source, le gouvernement est et reste responsable devant l’Assemblée nationale. I doit par suite, mettre celle-ci en mesure d’assurer pleinement son contrôle, c’est-à-dire tenir régulièrement le Parlement au courant de sa politique et de son action.

De même le travail législatif, dans lequel les projets de loi d’origine gouvernementale tiennent fatalement une très grande place mais qui ne doit pas être unique, le travail législatif, dis-je, suppose une collaboration étroite entre les Assemblées, leurs commissions et les membres du gouvernement.

Etablir des rapports que j’espère confiants avec le Parlement, l’éclairer complètement sur les divers aspects de la politique gouvernementale, lui permettre d’ouvrir des débats où les opinions qui s’expriment contribuent à orienter l’action de l’Exécutif, voilà des tâches essentielles auxquelles je me consacrerai, aussi bien devant l’Assemblée nationale que devant le Sénat, et pour l’exercice desquelles j’ai tenu à me faire assister d’un ministre.

Je n’oublie pas, en effet, que si l’autorité de l’Etat est indispensable, elle a pour corollaire le consentement des citoyens, c’est-à-dire la liberté, dont le contrôle des élus est une des garanties principales.

Mesdames, Messieurs, j’ai voulu, dans une déclaration d’ensemble, m’en tenir à des idées générales, mais j’ai tâché de m’expliquer sans détour sur les principes qui guideront l’action du Gouvernement. A vous d’en débattre, à vous d’en juger, à vous de me donner, si vous le voulez bien, votre indispensable concours.

Enviado por «Con 10 cañones por banda»