Vous avez affirmé – mais vous n’avez pas essayé de le prouver – pour justifier le maintien de la peine de mort, qu’elle est intimidante et qu’elle est par conséquent efficace ; vous avez prétendu que, si elle n’existait pas dans notre code pénal, beaucoup de malfaiteurs ne seraient pas arrêtés sur la pente du crime.
Et puis vous ajoutez l’argument par lequel on a un peu affolé l’opinion publique ; vous disiez : La criminalité va croissant en ce pays ; elle nous inquiète, elle nous trouble ; nous sommes menacés dans notre sécurité ; et comme la peine capitale est seule capable de nous donner des garanties, nous pensons que le moment n’est pas venu de la supprimer. Plus tard, quand la société aura pris des mesures de précaution, quand elle aura organisé tout un système social de défense meilleur que celui qui existe, alors peut-être l’abolition sera-t-elle admissible. J’accepterais ces raisons, à la condition qu’il me fût prouvé qu’elles ont une base, qu’elles ne sont pas le résultat d’affirmations faciles qu’on peut toujours produire à la tribune.
Recherchons si la peine de mort présente les qualités que doit avoir un châtiment dans une société civilisée. Elle devrait être tout à la fois moralisatrice et intimidante. L’est-elle ? Voilà tout le problème, messieurs.
Moralisatrice ? Il n’est personne parmi les partisans de la peine de mort qui ait osé soutenir que la peine de mort soit moralisatrice. Elle l’est si peu que ceux qui en demandent le maintien sont d’accord pour qu’elle soit appliquée dans l’obscurité. De même que le meurtre privé se cache par crainte, vous demandez que le meurtre social se cache par honte.
Et, messieurs, c’est une précaution que l’on comprend vraiment quand on a assisté à une exécution capitale. […] Autour d’une exécution capitale il y a tout un ensemble d’opérations, de mouvements, de gestes qui sont répugnants. Ces gestes, qui donc les fait ? L’exécuteur des hautes Å“uvres, ses aides.
Ah ! c’est tel qu’apparaît l’hypocrisie sociale. L’exécuteur des hautes Å“uvres, ses aides qu’il faut imposer à l’habitant par des réquisitions et qui sont entourés comme d’une atmosphère de réprobation, ces hommes chargés de commettre l’acte social le plus solennel et dont devrait le plus s’enorgueillir la société, on les isole ! Pourtant la société, dans cette circonstance, est personnifiée par l’exécuteur des hautes Å“uvres : le bourreau. L’exécuteur et ses aides, ils sont ses mandataires ; leurs opérations, leurs gestes sont les opérations et les gestes de la société. Je n’insiste pas sur le point de vue moralisateur ; nous sommes tous d’accord.
L’honorable M. Barrés a justement flétri ces spectacles. Eh bien ! voilà une peine déjà privée d’une qualité essentielle. La peine de mort est-elle du moins exemplaire ? On vous a rappelé combien de criminels, au moment de l’exécution, ont avoué avoir assisté antérieurement à de tels spectacles. […]
Si la peine de mort a une puissance d’intimidation, sa suppression doit amener immédiatement une recrudescence de crimes ; si cette recrudescence ne se manifeste pas, c’est que l’abolition demeure sans effet.
Or, c’est la conclusion à laquelle on aboutit quand on considère les différents pays où la peine de mort a été supprimée et quand on ne prend pas les chiffres d’une année pour les opposer arbitrairement à ceux d’une autre année, mais quand on prend des périodes suffisamment longues, les périodes de dix ans par exemple. [..]
J’ai retenu une partie du discours de l’honorable M. Barrés. M. Barrés semble voir dans la réprobation qu’éprouve ce pays pour la peine de mort une sorte d’affaiblissement de son énergie morale et comme la marque de quelque impuissance. […]
Pour ma part, j’ai étudié la question au point de vue de l’utilité de la peine. Je me suis dit : Si les chiffres de la criminalité, soit en France, soit à l’étranger, démontrent qu’il serait imprudent de supprimer la peine de mort en ce moment, s’il m’apparaît qu’elle a une puissance d’intimidation, eh bien ! je le dirai à la Chambre et je renoncerai à soutenir le projet du Gouvernement. C’est parce que, de tous les documents que j’ai consultés, il est résulté clairement pour moi que la peine de mort était inefficace, qu’elle n’était pas intimidante, comme on l’a dit, que je me suis présenté devant vous pour tâcher de vous faire participer à la conviction profonde qui s’est faite en moi.
Au surplus – et je termine par-là – on a traité bien légèrement le côté le plus grave du problème : la peine de mort n’est pas réparable. Oh ! je sais ! On a dit : Oui, il y a bien d’autres choses qui ne sont pas réparables dans la vie ! Il y a bien d’autres cas dans lesquels des injustices irrémédiables s’accomplissent. Messieurs, ici, c’est la société qui agit […].