Citoyens directeurs,
J’ai l’honneur de présenter au directoire exécutif le citoyen Bonaparte, qui apporte la ratification du traité de paix conclu avec l’Empereur.
En nous apportant ce gage certain de la paix, il nous rappelle, malgré lui, les innombrables merveilles qui ont amené un si grand événement ; mais qu’il se rassure ; je veux bien taire en ce jour tout ce qui fera l’honneur de l’histoire et l’admiration de la postérité : je veux même ajouter, pour satisfaire à ses vÅ“ux impatients, que cette gloire, qui jette sur la France entière un si grand éclat, appartient à la révolution. Sans elle, en effet, le génie du vainqueur de l’Italie eût langui dans de vulgaires honneurs. Elle appartient au gouvernement qui, né comme lui de cette grande mutation qui a signalé la fin du siècle 18e, a su deviner Bonaparte, et le fortifier de toute sa confiance.. Elle appartient à ces valeureux soldats dont la liberté a fait d’invincibles héros. Elle appartient enfin à tous les Français dignes de ce nom, car c’est aussi, n’en doutons point, pour conquérir leur amour et leur vertueuse estime qu’il se sentait pressé de vaincre, et ces cris de joie des vrais patriotes, à la nouvelle d’une victoire, reportés vers Bonaparte, devenaient là les garants d’une victoire nouvelle. Ainsi tous les Français ont vaincu en Bonaparte ; ainsi sa gloire est la propriété de tous ; ainsi, il n’est aucun républicain qui ne puisse en revendiquer sa part.
Il est bien vrai qu’il faudra lui laisser ce coup d’Å“il qui dérobait tout au hasard, et cette prévoyance qui le rendait maître de l’avenir ; et ces soudaines inspirations qui déconcertaient, par des ressources inespérées, les plus savantes combinaisons de l’ennemi ; et cet art de ranimer en un instant les courages ébranlés, sans que lui perdit rien de son sang-froid ; et ces traits d’une audace sublime qui nous faisaient frémir pour ses jours, longtemps après qu’il avait vaincu ; et cet héroïsme si nouveau qui, plus d’une fois, lui a fait mettre un frein à la victoire, alors qu’elle lui promettait ses plus belles palmes triomphales ; Tout cela sans doute était à lui ; mais cela encore était l’ouvrage de cet amour insatiable de la Patrie et de l’humanité ; et c’est là un fonds toujours ouvert, que les belles actions, loin de l’épuiser, tremplissent chaque jour davantage, et d’où chacun pourra toujours tirer des trésors de vertu, de grandeur véritable et de magnanimité.
On doit remarquer, et peut-être avec quelque surprise, tous mes efforts en ce moment pour expliquer, pour atténuer presque la gloire de Bonaparte ; il ne s’en offensera pas. Le dirai-je ? j’ai craint un instant pour lui cette ombrageuse inquiétude qui, dans une République naissante, s’alarme de tout ce qui sempble porter une atteinte quelconque à l’égalité ; mais je m’abusais : la grandeur personnelle, loin de blesser l’égalité, en est le plus beau triomphe ; et, dans cette journée même, les Républicains français doivent tous se trouver plus grands.
Et quand je pense à tout ce qu’il fait pour se faire pardonner cette gloire, à ce goût antique de la simplicité qui le distingue, à son amour pour les sciences abstraites, à ses lectures favorites, à ce sublime Ossian, qui semble le détacher de la Terre, quand personne n’ignore son mépris profond pour l’éclat, pour le luxe, pour le faste, ces méprisables ambitions des âmes communes ; ah ! loin de redouter ce qu’on voudrait appeler son ambition, je sens qu’il nous faudra peut-être le solliciter un jour pour l’arracher aux douceurs de sa studieuse retraite. La France entière sera libre : peut-être lui ne le sera jamais, telle est sa destinée. Dans ce moment, un nouvel ennemi l’appelle ; il est célèbre par sa haine profonde pour les Français, et pour son insolente tyrannie envers tous les Peuples de la Terre. Que par le génie de Bonaparte il expie promptement l’une et l’autre, et qu’enfin une paix digne de toute la gloire de la République soit imposée à ces tyrans des mers ; qu’elle venge la France, et qu’elle rassure le Monde !
Mais, entraîné par le plaisir de parler de vous, général, je m’aperçois trop tard que le public immense qui vous entoure est impatient de vous entendre ; et vous aussi, devez me reprocher de retarder le plaisir que vous aurez à écouter celui qui a le droit de vous parler au nom de la France entière, et la douceur de vous parler encore au nom d’une ancienne amitié.
Enviado por Enrique Ibañes