J’ai l’honneur de présenter au directoire exécutif de la République française le citoyen Alexandre Berthier, chargé par le citoyen Bonaparte d’apporter le traité de paix définitif, conclu entre la République française et l’Empereur.
Cet avantage, ou plutôt cette récompense, était dû au général qui a obtenu une si grande part dans les prodiges de l’armée d’Italie.
Le général Berthier, a dit Bonaparte, est une des colonnes de la République française. Il n’est pas une victoire de l’armée d’Italie à laquelle il n’ait contribué. Je ne craindrai pas que l’amitié me rende partial, en retraçant ici les services que ce brave général a rendu à la Patrie ; mais l’histoire prendra ce soin, et l’opinion de toute l’armée fondera le témoignage de l’histoire.
C’est ainsi que Bonaparte parle de Berthier, et par là m’interdit tout éloge. Qu’ajouter, en effet, à de telles expressions ? Mais tandis qu’une élite de républicains se presse ici autour du compagnon et de l’ami de Bonaparte et semble par ses avides regards, accuser sa contenance modeste, qu’il reçoive du moins, au milieu des élans de la joie publique, l’expression abandonnée de la reconnaissance qu’excite en nous l’inappréciable bienfait de la paix. Eh ! quel est celui que ce mot ne fait pas tressaillir de bonheur ? Ce n’est, certes, pas ici une de ces paix serviles qu’impose la force, et dont à son gré se joue la perfidie. Non, c’est la victoire qui s’arrête ; c’est le courage qui se met un frein ; c’est une paix librement souscrite et formellement garantie, qui, agrandissant le domaine de la liberté, consolide, la révolution, éteint les délirantes ambitions des ennemis extérieurs, et nous apportant mille biens précieux, nous ouvre un avenir riche de tous les genres d’espérances.
C’est, sans doute, pour avoir détourné leur esprit de ces consolantes idées, que quelques républicains ont cru pouvoir retenir, à cette nouvelle, l’épanchement de leur joie. Par un sentiment patriotique, sans doute, ils désiraient plus de grandeur encore pour la République, et moins d’avantage pour la puissance rivale. Mais ce sentiment pur dans son principe, ne doit pas lutter trop longtemps contre la joie universelle, et doit céder, surtout, à des considérations d’un ordre supérieur. Et où donc se serait arrêtée cette sanglante lutte ? A-t-on le droit, dans une si terrible incertitude, de prolonger une expérience qui peut coûter tant de malheurs au Monde ? Et lorsque le problème de la révolution française est plus que résolu ; lorsque la France acquiert à la liberté plusieurs millions d’hommes ; lorsque la République française, dans sa sixième année, devient incontestablement la première puissance de l’Europe, qui oserait alors repousser, par ses vÅ“ux, une paix qui nous assure tant de gloire au dehors, et nous promet tant de prospérités intérieures ; qui, ramenant au sein de nos campagnes ces soldats triomphateurs, y tarira tant de larmes, y excitera tant d’amour, y réveillera tant d’enthousiasme, et y fondera partout ce patriotisme toujours vrai, toujours pur, toujours sans excès, puisque toujours il s’alimentera des souvenir de la gloire et de la magnanimité ? Eh qui donc, après tant de combats, oserait dire à nos armées, vous n’avez pas assez vaincu ! après les défaites de Beaulieu, de Wurmser, de Clairfait, etc. vous n’avez pas assez renversé des réputations ! après les victoires de Bassano, de Lodi, d’Arcole, de Rivoli, de Trévise, de Tagliamento, etc. vous n’avez pas remporté assez de victoires ! Quel homme oserait demander de nouveaux prodiges encore, lorsque, par ces innombrables prodiges, les temps héroïques s’effacent des annales de la renommée, et que les temps fabuleux sont devenus notre propre histoire ? Ah ! plutôt grâces immortelles soient rendues au directoire, qui a su quand il était temps d’arrêter ses triomphes ; qui librement a voulu reposer sa foudre ; qui a donné la paix au continent pour préparer plus de repentir à l’orgueilleuse Angleterre, et qui a senti que la véritable grandeur est celle qui se limite elle-même ; la véritable force, celle qui se modère ; la véritable gloire, celle qui s’entoure de la reconnaissance nationale.
J’ai l’honneur de présenter au directoire exécutif de la République française le citoyen Monge, chargé aussi de lui annoncer la paix, et qui avait été envoyé en Italie comme membre de la commission des sciences et des arts, pour recueillir les monuments assurés à la République par nos traités.
Ces monuments où sont empreints tous les genres de gloire et de la Grèce et de l’Italie, sont donc enfin une richesse nationale que bientôt nous pourrons contempler à loisir.
Pour les transporter au milieu de nous, et conserver à plusieurs d’entre eux cette beauté fragile que le temps a respectée, il fallait, non des mains étrangères ou indifférentes, mais des Français dignes d’apprécier une si belle conquête.
Monge fut choisi. Son ardent patriotisme, son amour religieux pour les arts, cette soif si légitime de renommée dans la carrière des sciences dont il a reculé les limites, furent des titres sacrés aux yeux du gouvernement.
Monge a pleinement justifié cette confiance ; jamais mission ne fut plus dignement remplie.
Dans les divers déplacements, ces chefs-d’Å“uvre coururent plus d’un danger, et nous éprouvions ici, en apprenant les tentatives délicates et savantes mises en usage pour les en garantir, ces émotions vives et presque touchantes qu’on éprouve pour l’objet des plus douces affections. Mais que les amants des arts se rassurent ; l’objet de leur culte a échappé à tous les dangers ; le citoyen Monge va leur apprendre que bientôt ils en jouiront avec une sécurité désormais inaltérable.
Enviado por Enrique Ibañes