J’ai demandé la parole pour motiver la priorité en faveur de la motion de Thuriot. Je demande qu’elle soit mise aux voix. Il ne sera pas difficile de faire voir que cette motion est d’un ordre supérieur à celle même de mander le commandant général à la barre. Il faut que Paris ait justice de la commission, qui n’existe que par vous, la Convention. C’est vous qui l’avez créé, et si vous reconnaissez qu’elle est impolitique, par cela seul qu’elle a produit de funestes et mauvais effets. Vous ne pouvez répéter cette mesure.
Murmures à droite. Plusieurs voix : nous ne savons pas cela.
Vous ne le savez pas ? Il faut donc vous le rappeler. Oui votre commission a produit la juste indignation populaire. Vous lui avez donné le droit d’arrêter à sa volonté quiconque n’était pas de son opinion. Elle a fait incarcérer des magistrats du peuple.
(§2) Rappelez vous que dans mon discours trop modéré sur cette institution (4), je vous fis observer qu’on voulait vous faire servir des haines particulières. S’il existait des faits, il suffisait de renvoyer aux tribunaux ordinaires les renseignements recueillis par cette commission. Mais il ne fallait pas lui accorder la faculté de faire saisir arbitrairement des individus et de jeter dans les fers des magistrats du peuple, par cela seul qu’ils avaient imprimé des feuilles, où ils combattaient cet esprit funeste de modérantisme que la France veut anéantir, tuera comme l’aristocratie, pour sauver la république.
(§3) Je ne prétends pas inculper, ni disculper la commission, il faut juger ses membres, il ne suffit pas de les destituer. Il faudra la juger sur un rapport et sur leur défense, afin que leur conduite, quelle qu’elle ait été, soit mise au grand jour. Je ne traite en ce moment cette question que sous le rapport politique. Pourquoi avez-vous ordonné l’élargissement de ces fonctionnaires publics arrêtés par ordre de cette commission ? Vous avez rendu un pareil décret ou par faiblesse ou par justice. Vous y avez été engagés, déterminés par le rapport d’un homme que vous ne suspecterez pas, que la nature a crée doux, sans passions, sans fiel, sans amertume, et pour être l’organe de la vérité, le ministre de l’intérieur. Cet homme dont il vous est plus aisé d’empoisonner les intentions que de refuser les raisonnements, s’est expliqué clairement, textuellement, avec développement sur le compte d’un des magistrats du peuple, sur la conduite d’Hébert, et a déterminé votre justice a prononcé son élargissement. La commission avait donc été injuste en laissant arrêter ce magistrat. En ordonnant de relâcher ce magistrat du peuple, vous avez été convenus que la commission avait fait une faute. La commune était aussi justement indignée, et la preuve, c’est que vous lui aviez rendu les citoyens que vous lui aviez arrachés. Vous êtes convaincus qu’elle avait mal agi et était dangereuse sous le rapport politique. C’est sous ce rapport que j’en demande, non pas la cassation, car il faut un rapport, mais la suppression.
(§4) Eh, pourriez-vous donc hésiter à la supprimer à l’instant ? Vous l’avez créée, non pour elle, mais pour vous. Si vous reconnaissez qu’elle est une commission impolitique, par cela seul qu’elle a produit de mauvais effets, vous ne pouvez répéter cette mesure, votre devoir est la supprimer. Vous examinerez ensuite la conduite des individus qui la composent et alors, s’il y a lieu, si elle est coupable, vous en ferez un exemple terrible qui effraiera tous ceux qui ne respectent pas le peuple, jusque dans ses opinions révolutionnaires, et même dans son exagération révolutionnaire.
(§5) Il faut que le canon…
Un membre à droite : tonne.
Oui sans doute et il a déjà tonné. Quant au canon d’alarme, ne soyez point effrayés de ce signal, quelques personnes paraissent le craindre. J’espère qu’il ne produira pas aujourd’hui d’effets désastreux. Celui que la nature a créé capable de naviguer sur l’océan orageux n’est point effrayé lorsque la foudre atteint son vaisseau ; il ne produira point de malheurs. S’il a été tiré pour la destruction des lois, les malveillants seront réprimés ; mais si Paris n’a voulu donner que le grand signal de l’indignation que tous ses bons citoyens ont ressentie de se voir enlever leur magistrat par des ordres arbitraires, donc pour vous apporter des représentations… (les citoyens des tribunes applaudissent avec une partie de l’assemblée) … ; si Paris, par une sorte de convocation trop solennelle, trop retentissante, n’a voulu qu’avertir tous les citoyens de vous demander une justice éclatante, je dis que Paris aura bien mérité de la patrie.
(§6) La Commune de Paris indignée vous a mandé un grand acte de son indignation.
Des voix, c’est vous.
Sans contredit, vous devez faire en sorte que les mauvais citoyens ne mettent pas à profit cette grande secousse; mais si elle n’a pas été imprimée que, parce que Paris vous porte ses justes réclamations par ce simulacre d’insurrection, il aura encore bien mérité de la patrie puisqu’il a appris qu’en révolution le peuple peut se présenter, avec cette attitude imposante qui fait toujours trembler les traîtres et les tyrans. S’il y a quelque chose de trop prononcé dans cette attitude, vous ne devez pas l’envisager, mais songer qu’il n’y a pas de violation de la loi, là où il y résistance à l’oppression.
(§7) Je dis donc que si vous êtes des législateurs politiques, vous tournerez au profit de la chose publique cette explosion du moment, vous profiterez de vos propres erreurs. Citoyens, ce n’est qu’à ceux qui ont reçu quelques talents politiques, qu’aux hommes dont la politique est saine, aux hommes de sens réellement politiques, qui ont de grandes vues politiques, aux vrais législateurs et qui sont calmes au milieu des circonstances, et non à ces hommes stupides qui voient partout le crime, et qui jugent tous avec passion, qui ne connaissant que leurs passions, que je m’adresse pour leur dire : ne considérez pas si l’énergie dépasse un peu la ligne, ne considérez que l’intérêt national, le but vraiment politique ! Considérez la grandeur de votre but : c’est de sauver le peuple de ses ennemis, des aristocrates, de le sauver de sa propre colère. Loin de blâmer cette explosion, vous la tournerez au profit de la chose publique d’abord en réformant vos erreurs, en cassant votre commission (On murmure).
(§8) Il faut que ce chaos s’éclaircisse ; mais il faut donner justice au peuple.
Quelques voix : Quel peuple ?
Quel peuple dites-vous ? Ce peuple est immense. Dans un temps de révolution, le peuple doit se produire avec toute l’énergie qui annonce la force nationale. Il faut que le peuple soit satisfait (interruption). On répète que le peuple doit exprimer son vÅ“u légalement, mais s’il l’eut fait toujours, il n’eut jamais eu de liberté ; et quoiqu’on dise ce peuple courageux est la sentinelle couronnée de la révolution, et Paris est la sentinelle avancée de la république. On vous dira que Paris n’est qu’une fraction de la république, oui, mais il en est la sentinelle avancée. C’est Paris qui doit donner l’éveil aux départements qui, n’en doutez pas, applaudiront à ce peuple qui veut exterminer ses ennemis intérieurs. Tous les départements haïssent fortement la tyrannie (Un grand nombre de voix : Oui, oui !). Tous les départements exècrent ce lâche modérantisme qui ramène la tyrannie. Tous les départements, en un jour de gloire pour Paris, avoueront ce grand mouvement qui exterminera tous les ennemis de la liberté. Tous les départements applaudiront à votre sagesse, quand vous aurez fait disparaître une commission impolitique.
(§9) Je ne m’oppose pas à ce que vous mandiez le commandant général provisoire. Je serai le premier à rendre une justice éclatante à ces hommes courageux qui ont fait retentir dans les airs le tocsin de la liberté (les tribunes applaudissent).
C’est une violation de la loi, s’écrient quelques membres à droite
Non, non il n’y a pas violation de la loi, là où il y a un développement de volontés pour résister à l’oppression. Là où une grande volonté du peuple se manifeste…
Ce n’est pas la sienne. C’est la votre, lui crie-t-on de la droite
Vous pouvez rétablir la tranquillité. N’abusez pas de ma sagesse (murmures à droite et au centre) car je défie personne de dire que j’ai eu part à ce qui vient d’arriver (nouveaux applaudissements des tribunes).
(§10) Je vous engage, vous représentants du peuple, à vous montrer impassibles ; faites tourner au profit de la patrie cette énergie que de mauvais citoyens seuls pourraient présenter comme funeste ; et si, quelques hommes vraiment dangereux, n’importe à quel parti, voulaient prolonger un mouvement devenu inutile quand vous aurez fait justice. Paris lui-même les fera rentrer dans le néant. Regardez l’institution de votre commission sous l’aspect politique, elle a été funeste ; anéantissez-là, qu’on oublie jusqu’à son nom. Paris, n’en doutez pas, nous seconderait pour anéantir ce funeste modérantisme. Supprimez là, et prévenez par cette conduite sage, la juste vengeance du peuple ; ou plutôt empêchez ce bon peuple, cette sentinelle avancée de la république, de se livrer à des excès que vous auriez provoqués. Sous le rapport politique, la commission a été dépourvue de sens pour prendre de nouveaux arrêtés et de les notifier au maire de Paris, qui a eu la prudence de répondre qu’il consulterait la Convention. Je vous demande la suppression de la commission, et le jugement de la conduite particulière de ses membres que vous croyez irréprochables ; moi je crois qu’ils ont servi leurs ressentiments.
Salles. On vous présente le simulacre de la sédition que l’on a excité comme une insurrection populaire. Nous savons bien que ce n’est qu’un simulacre, les citoyens courent sans savoir pourquoi.
(§11) Danton : Si ce n’est, dit-on, qu’un simulacre d’insurrection, c’est parce que le peuple a vu ses magistrats en liberté et sans cela il y eût une insurrection complète (Applaudissement des tribunes). Vous sentez s’il est vrai que ce ne soit qu’un simulacre, quand il s’agit de la liberté de quelques magistrats, le peuple fera pour sa liberté une insurrection toute entière (Applaudissements des tribunes).
(§12) Je conclus par demander que sans inculpation et pour l’amour de la paix, pour marcher à la constitution qui doit comprimer toutes les passions, pour que nous nous occupions de la constitution, qu’à l’appel nominal vous détruisiez cette commission vraiment dangereuse sous le but politique. Je demande, froidement et pour faire cesser tous les débats, pour reprendre tranquillement nos opérations et pour parvenir enfin au centre commun, qui est la constitution, de mettre au voix, par appel nominal la suppression pure et simple de la commission des douze sous le rapport politique seul, sans rien préjuger ni pour ni contre. Ensuite vous entendrez le commandant général à la barre, vous prendrez connaissance de ce qui est relatif à ce grand mouvement, vous finirez par vous conduire en hommes qui ne s’effraient des dangers, et vous verrez les patriotes qui sauraient avec énergie mourir pour le peuple, vous donnaient l’exemple de la justice
Suit l’intervention de Rabaud qui demande la parole au nom de la commission des douze, et qui est sans cesse interrompu par les tribunes et le côté gauche, la Montagne donc, aux cris injurieux de à bas, à bas !