Madame le Speaker de la Chambre des lords,
Monsieur le Speaker de la Chambre des communes,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement,
Pour le Président de la République française, c’est un honneur exceptionnel que de parler aux deux Chambres réunies du Parlement britannique.
C’est dans ces murs, dans vos murs, que la vie politique moderne est née. Sans votre Parlement, la démocratie parlementaire n’aurait pas existé sous cette forme dans le monde. Et c’est grâce à la pratique parlementaire née dans ces lieux que vous avez imposé la démocratie parlementaire comme la meilleure garantie contre la tyrannie. L’histoire de votre institution, de votre Parlement influence aujourd’hui encore la plupart de nos régimes politiques contemporains. L’affirmation de votre Parlement s’est faite au service de la protection des libertés individuelles ; c’est une leçon que vous, les Britanniques, vous avez donnée au monde.
Ce Parlement, le vôtre, a été le premier au monde à obtenir les résultats de la démocratie parlementaire qui font que vous êtes et vous représentez la pierre angulaire de toutes nos démocraties. C’est ici que des parlementaires ont peu à peu inventé ce qu’est un parti, un programme électoral et finalement une majorité. Et c’est par cette institution que la grandeur du Royaume-Uni s’est affirmée. Et si je suis si honoré de m’adresser à vous, c’est parce que le cÅ“ur politique du Royaume-Uni bat sous ce toit.
Voyez-vous, je crois profondément en la force du mot « politique ». Je crois profondément en la capacité du politique à améliorer et à peser sur le destin des peuples. Les institutions, aussi perfectionnées soient elles, n’existent que pour autant qu’elles sont au service d’un peuple. Et la force du peuple britannique est celle d’un peuple libre qui se détermine par lui-même et qui est prêt aux plus grands sacrifices pour défendre sa liberté.
Combien votre Nation a-t-elle vaincu d’invincibles armadas ? Combien votre Nation a-t-elle gagné de batailles que tout le monde croyait perdues ? Et si votre Nation a su relever tant de défis qui semblaient hors de portée, c’est parce que vous aviez la conviction que votre cause était juste, parce que vous aviez confiance en vous, en vos valeurs, et parce qu’en toutes circonstances, la Nation britannique a fait preuve d’une détermination et d’un courage qui a fait l’admiration du monde entier. La bataille d’Angleterre en fut un accomplissement magnifique. Et dans l’esprit et dans le cÅ“ur même de ceux qui vous ont combattus, la Nation britannique s’est imposée par son respect de l’autre, par votre tolérance, par votre art de vivre, par votre liberté d’esprit que vous vous êtes forgés tout au long d’une histoire pleine de bruit et pleine de fureur. En toutes circonstances, vous, les Britanniques, vous avez su rester vous-mêmes, vous avez su penser par vous-mêmes, et cela a suffi pour que vous incarniez aux yeux de beaucoup d’hommes un idéal humain et un idéal politique.
Alors, s’il est un peuple avec lequel vous avez tissé des liens exceptionnels, c’est bien le peuple français. Les destins de nos deux pays se mêlent étroitement depuis près de mille ans. Depuis que Guillaume le Conquérant a débarqué de Normandie pour s’emparer du trône d’Édouard le Confesseur, jusqu’au chemin inverse que firent des centaines de milliers de jeunes Britanniques pour participer à la libération de l’Europe, nos destins, français et britannique, se sont croisés sans cesse. Alors, c’est vrai, la France et l’Angleterre, nous nous sommes affrontés pendant des siècles : affirmant chacune sa personnalité en l’opposant à l’autre, nous nous sommes combattus non parce que nous étions trop différents, mais parce que, sans doute, nous nous ressemblions trop. Et nous avons jeté ensemble, chacun à notre façon, les bases de l’union entre l’État et la Nation, que la France et le Royaume-Uni ont le mieux incarnées en Europe.
Oui, nos Nations se sont longtemps combattues, jusqu’au jour magique où, enfin, les Britanniques et les Français ont compris que ce qui nous réunissait était plus important que ce qui nous séparait, que nous avions des intérêts à défendre et, plus encore, que nous avions des valeurs communes à incarner et à proposer au monde. Cette alliance eut un nom : l’« Entente cordiale ». Honnêtement, depuis le temps qu’on ne se bat plus, on devrait parler de l’« Entente amicale ». Après des siècles d’hostilité, de défiance, qui nous conduisirent à nous affronter dans les plus terribles épreuves, des souffrances et des malheurs partagés dans la fraternité des armes, naquit entre nous une estime profonde. Essayons de faire de cette estime, une amitié sincère.
À ceux qui veulent opposer les cultures et les traditions des mondes germanique, latin et anglo-saxon, je veux dire que nous partageons l’essentiel : le même humanisme, la même idée de l’Homme et que ce que nous appelons la civilisation occidentale, ce que nous appelons le progrès, la démocratie, la liberté sont, par-delà toutes les vicissitudes de l’Histoire, le fruit de siècles de dialogue ininterrompu entre nos philosophes, les vôtres et les nôtres, entre nos responsables politiques et entre nos deux peuples. Il nous faut rappeler sans cesse ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise.
Et je veux dire une chose au nom du peuple français : la France n’oubliera pas, la France n’oubliera jamais que lorsqu’elle était au bord de l’anéantissement, c’est l’Angleterre qui était aux côtés de la France. Au nom du peuple français, je suis venu vous dire un merci éternel. Nous n’avons pas oublié parce que nous n’avons pas le droit d’oublier ce que de jeunes Britanniques ont fait pour la liberté du peuple français. La France n’oubliera jamais, parce qu’elle n’en a pas le droit, le sang anglais, le sang écossais, le sang gallois, le sang irlandais mêlés au sang français dans la boue des tranchées de la Première Guerre mondiale.
La France n’oubliera jamais l’accueil que le peuple britannique fit au général DE GAULLE et à la France libre. La France n’oubliera jamais l’héroïque résistance du peuple britannique sans laquelle tout aurait été perdu. La France n’oubliera jamais que la reine, alors que Londres était bombardée, a choisi avec sa famille d’y demeurer en signe de solidarité avec son peuple. La France n’oubliera jamais la belle jeunesse venue de tout l’Empire britannique pour se sacrifier sur les plages et dans les bocages de Normandie.
Les guerres du siècle passé l’ont montré : comme deux frères, ce que le peuple français et le peuple britannique peuvent accomplir ensemble est beaucoup plus grand que ce qu’ils peuvent réaliser séparément. Ensemble, nous sommes plus forts que seuls l’un à côté de l’autre ou que seuls l’un contre l’autre. C’est le message politique que je voulais vous faire partager cet après-midi.
Et peu importe que nos ressemblances prennent le pas sur nos différences. Un Français restera toujours un Français et un Anglais, toujours un Anglais. Alors, bien sûr, chacun gardait son originalité. Vous êtes restés une monarchie alors que nous devenions une République. Nous restons attachés à l’harmonie du droit romain, à la vitalité de nos terroirs, tout ce que tant de Britanniques aiment en France. Et vous avez toujours privilégié la liberté du contrat, le dynamisme des métropoles, la tradition qui trouve toute sa place dans le présent, tout ce que tant de Français aiment dans votre pays. Mais l’essentiel n’est plus là. Nous devons faire de nos différences des complémentarités. Jamais la France et le Royaume-Uni n’ont été aussi proches, aussi liés l’un à l’autre. Et qu’il me soit permis de saluer Londres devenue la septième ville française ! Aujourd’hui, le nombre de citoyens britanniques qui ont choisi de s’installer en France n’a jamais été aussi élevé.
Nous avons appris à nous comprendre dans de nombreux domaines. Je vais vous dire une chose : vous, les Britanniques, vous êtes devenus pour nous un modèle, une référence. Et nous devons nous inspirer de ce que vous avez su faire quelle que soit la couleur politique de vos gouvernements, ces vingt ou trente dernières années. Ce que nous admirons peut-être le plus chez vous, c’est cette capacité qu’a toujours eue votre peuple de changer pour épouser et parfois pour précéder la marche du monde, tout en restant fidèle à lui-même. Et c’est ainsi que le Royaume-Uni a accompli, sans hésiter, bien des révolutions auxquelles tant d’autres peuples ne se sont résolus que lorsqu’ils y furent contraints. Et pour autant, jamais vous n’avez cédé à la tentation de la table rase. Jamais vous n’avez renié votre passé ni votre identité. Et si vous avez changé tout au long de votre histoire, c’est pour pouvoir rester vous-mêmes.
Le Royaume-Uni a montré que, dans l’économie globale, il existait une voie pour atteindre une croissance forte, le plein emploi et la solidarité. Cette voie, c’est celle des réformes. Les principes qui permettent avec succès d’affronter la mondialisation d’un côté de la Manche doivent permettre de l’affronter avec le même succès de l’autre côté. Et je ne suis pas venu pour dire : voilà ce que la France peut vous apporter. Je suis venu vous dire que la France doit apprendre aussi à regarder chez ses voisins ce qu’ils ont réussi à faire de mieux, plus fort et avant elle. Ce n’est pas un pays faible qui dit cela, c’est un pays fort que celui qui est capable de reconnaître que d’autres ont fait mieux sur le chemin des réformes que soi-même. L’enjeu pour nous, c’est de nous inspirer des leçons d’une expérience réussie, la vôtre.
La France s’est remise en marche. Et je puis vous dire une chose, c’est que les réformes, je les mènerai à leur terme. Parce qu’une conviction a inspiré toute ma vie politique, parce qu’une conviction m’anime depuis que les Français m’ont confié la première charge de l’État : je n’ai pas été élu pour m’incliner devant les fatalités. Et si la politique a un sens, au Royaume-Uni comme en France, c’est que nos peuples attendent que nous ne nous inclinions pas devant les fatalités. J’ai été élu pour créer des opportunités, pour changer la France à travers un processus continu de réformes profondes.
Je dis oui à la mondialisation et en même temps oui à une meilleure protection des travailleurs. Je dis oui au libre-échange et en même temps oui à la défense de nos intérêts en souhaitant qu’en Europe on comprenne le sens du mot « réciprocité ». Je dis oui au marché et oui à une politique intelligente au profit de secteurs stratégiques, oui, aux politiques communes qui ne remettent pas en cause l’identité de nos Nations.
Alors, en l’espace d’une génération, la mondialisation a pris une tournure nouvelle. Hier condamnés par toute une école de pensée, les Nations et les États — le mot Nation ne me fait pas peur — les Nations et les États doivent trouver une réponse aux inquiétudes et aux angoisses de nos concitoyens. Le monde traverse des changements considérables et les Nations ont besoin de passeurs d’une époque à une autre. Nous vivons le XXIe siècle avec les règles du XXe. C’est le rôle que doivent se fixer nos deux pays. La mondialisation qui avait apporté tant de réponses, ouvert tant d’espérances a fait naître d’autres questions, suscité d’autres souffrances qui appellent des remèdes radicalement nouveaux. Ces formes nouvelles, il nous appartient, ensemble, de les inventer.
Face à tous les problèmes inédits qu’il va nous falloir résoudre, le Royaume-Uni et la France ont un rôle majeur à jouer. En additionnant nos forces, nous pouvons contribuer à faire émerger une nouvelle mondialisation, plus libre, plus équitable, plus responsable et plus juste. La vérité, c’est que pour être à la hauteur de nos responsabilités, nos deux pays ont aujourd’hui besoin l’un de l’autre. Au nom du peuple français, je suis venu proposer au peuple britannique qu’ensemble nous écrivions une nouvelle page de notre histoire commune, celle d’une nouvelle fraternité franco-britannique, une fraternité franco-britannique pour le XXIe siècle. Nous souhaitons plus d’entente, plus de coopération entre nous.
Tout le justifie : nous avons le statut de membre permanent du Conseil de sécurité, nous sommes des puissances nucléaires, vous et nous, l’influence que nous exerçons chacun dans une partie du monde, notre appartenance commune à l’Union européenne, notre attachement viscéral à la démocratie et à la liberté. Nos deux pays sont comparables en influence et en atouts. La France et le Royaume-Uni, nous avons la même population, un PNB quasi identique et les mêmes priorités en matière de défense. Nous avons 15 000 soldats français sur tous les théâtres de monde, vous avez 15 000 soldats britanniques déployés sur tous les théâtres d’opérations. Nos deux pays doivent faire entendre leurs idées dans le monde entier. Nos deux pays peuvent, s’ils le veulent, être complémentaires.
Pour conjurer le danger du choc des civilisations, le monde a besoin de nos deux vieilles Nations parce qu’elles connaissent la profondeur de l’Histoire, qu’elles savent l’importance de la longue durée pour comprendre les sentiments des peuples. Mesdames et Messieurs, si le Royaume-Uni et la France veulent plus de justice ensemble, alors le monde sera plus juste. Si le Royaume-Uni et la France luttent ensemble pour la paix, alors le monde sera plus pacifique.
Si le Royaume-Uni et la France s’unissent pour affronter la tempête économique qui se lève et proposer ensemble les réformes nécessaires, alors le monde sera moins incertain et plus prospère. Si le Royaume-Uni et la France réfléchissent ensemble à l’avenir du capitalisme financier qui doit être réformé pour que l’entrepreneur prenne le pas sur le spéculateur, pour que l’économie mondiale ne continue pas de reposer sur une montagne de dettes, si le Royaume-Uni et la France parlent d’une même voix, qui pourra refuser de nous entendre ?
Si le Royaume-Uni et la France parlent d’une même voix contre le réchauffement climatique, cette voix sera entendue même par ceux qui doutent de la gravité de la menace qui pèse sur notre planète. Je pense d’abord aux États-Unis, car pour prévenir une catastrophe écologique le monde a besoin de l’Amérique. Et qui mieux que les amis les plus sincères de l’Amérique peuvent la convaincre, lui rappeler les responsabilités mondiales qui sont les siennes, au nom des valeurs qui nous sont communes et pour lesquelles nous avons partagé tant de sacrifices ?
Si le Royaume-Uni et la France, qui ont tous deux fait résolument le choix de l’énergie nucléaire, affirment ensemble les avantages incomparables de cette énergie pour lutter contre le changement climatique, alors cet argument aura une portée et une force nouvelles.
Si le Royaume-Uni et la France expriment ensemble leur refus que le monde du XXIe siècle soit gouverné avec les institutions du XXe, en laissant à l’écart les principales puissances émergentes et leurs deux milliards et demi d’habitants, alors la voix du Royaume-Uni et celle de la France additionnée sera entendue dans le monde entier.
Mesdames et Messieurs les Membres du Parlement, ce que nous ferons ensemble n’aura son sens que si nous l’accomplissons d’abord au sein de l’Europe, qui est le nom que nous donnons depuis toujours à notre destinée commune. Chaque fois que le sort de l’Angleterre s’est joué, il s’est joué en Europe. Chaque fois que le sort de la France s’est joué, il s’est joué en Europe. Je sais, c’est un sujet sensible. Il est bien que la politique ait le courage de parler des sujets sensibles car à force pour nous, les responsables politiques, de refuser de parler des sujets sensibles, c’est les peuples qui nous rappellent à notre devoir. Ce sujet de l’Europe est sensible au Royaume-Uni. Voyez-vous, je viens d’un pays où il est sensible aussi parce qu’il y a quelques années, la France a dit non. Et je sais bien ce qu’il en est, moi qui ai voté oui.
L’Union européenne — je veux le dire parce que c’est ma conviction la plus profonde — est notre Å“uvre commune à vous et à nous. C’est une Å“uvre de paix, c’est une Å“uvre de démocratie et de prospérité. C’est une aventure sans précédent dans l’histoire de l’Humanité, sans précédent après des siècles de guerres, de morts et de souffrances auxquelles l’Angleterre et la France ont pris une si grande part. Les peuples d’Europe ont décidé souverainement — sans que personne ne les y oblige, seules leur raison et leur intelligence — de bâtir ensemble leur avenir. Nul n’oubliera jamais que la première grande voix qui s’éleva après la guerre pour appeler les peuples d’Europe à s’unir fut celle de l’homme d’État qui avait incarné à lui seul la résistance farouche de la Nation britannique, je veux dire Winston CHURCHILL. Il y a trente-cinq ans, le Royaume-Uni a fait le choix de l’Europe.
Je suis venu vous dire, chers amis britanniques, que l’Europe a besoin du Royaume-Uni et j’ai une certaine crédibilité à le dire car, mes amis britanniques le savent, j’ai toujours pensé cela depuis bien longtemps : nous ne pouvons pas construire une Europe prospère, démocratique, efficace, sans le Royaume-Uni. Et j’ai la faiblesse de penser que, quelles que soient les convictions, que je respecte, que le Royaume-Uni, comme la France, nous avons besoin de l’Europe. Qui peut penser que l’Europe serait plus forte sans le dynamisme britannique ? Qui peut penser que le Royaume-Uni aurait plus d’influence dans le monde s’il revenait au splendide isolement ? Qui peut penser que les défis qui se posent à nos Nations aujourd’hui pourraient être mieux résolus dans un cadre strictement national ?
Alors je vais aller encore plus loin : nul ne demande au Royaume-Uni de renoncer aux liens si fraternels et si profonds qui l’unissent depuis trois siècles à l’Amérique, nul ne demande au Royaume-Uni d’abandonner les relations si particulières qu’il entretient avec le Commonwealth. Ce serait vous demander de renoncer à être vous-mêmes. Ce serait stupide car ce serait surtout priver l’Europe de ce que le Royaume-Uni peut lui apporter de plus précieux : cette ouverture au monde, ce rayonnement exceptionnel, cette culture de la diversité dont l’Europe a besoin. Nous avons besoin en Europe des Britanniques, des vrais Britanniques, pas de Britanniques différents.
Et la position de l’Europe dans le monde ne tient pas seulement au nombre de ses habitants et à la quantité de ses ressources. Cela tient à notre capacité à rayonner sur tous les continents. Et je l’ai dit pour les britanniques, mais je le dis pour la France. Que serait l’Europe sans les liens de la France avec la francophonie ? Que serait l’Europe sans les liens de l’Espagne avec le monde hispanique ? Que serait l’Europe sans les liens du Portugal avec la lusophonie, et, bien sûr, du Royaume-Uni avec le monde anglo-saxon ? Il n’y a pas de contradiction. L’Europe doit se construire sur des Nations qui n’ont pas peur de défendre leur identité. Mais nos vieilles Nations européennes ne peuvent espérer jouer un rôle qui soit digne d’elles que si elles décident d’agir ensemble. L’Europe est ce que nos Nations ont construit de plus remarquable au cours du demi-siècle écoulé. Nos deux pays veulent une Europe respectueuse des identités nationales. Je n’ai pas eu peur pendant ma campagne électorale de dire que l’identité n’était pas une pathologie. D’ailleurs, ceux qui plaident pour la diversité, j’aimerais qu’ils m’expliquent ce qu’il adviendrait de la diversité si on supprimait les identités. Pour qu’il y ait de la diversité, faut-il encore qu’on ait respecté les identités…
Nous voulons une Europe qui refuse la tentation bureaucratique, qui ne cherche pas à imposer les mêmes normes partout. Nous voulons une Europe qui soit capable d’agir. Mes chers amis britanniques, si nous voulons changer l’Europe, et nous le voulons, nous les Français, alors nous avons besoin de vous à l’intérieur de l’Europe, pas à l’extérieur, car qui peut espérer peser sur l’évolution de l’Europe s’il se met à l’extérieur de l’Europe alors que l’Europe a besoin que, de l’intérieur, on la change ? Voilà le message que les Français m’ont demandé de porter, eux qui ont voté à 55 % non lors d’une consultation. Trop longtemps, nous les Européens, c’est vrai, nous avons fait des erreurs, nous avons consacré notre énergie à des débats institutionnels qui nous divisaient au lieu de nous réunir, et qui ennuyaient profondément nos peuples et, il faut bien le dire, nous-mêmes. Alors, le traité de Lisbonne est imparfait mais il met fin, pour longtemps à ces affrontements du passé.
Et maintenant il nous faut consacrer notre énergie à des projets concrets : la lutte contre le changement climatique, l’énergie, l’immigration, le développement, la sécurité, la défense. Sur ces sujets, qui seront au cÅ“ur de la présidence française à partir du 1er juillet, le Royaume-Uni et la France doivent agir dans la même direction. Et qu’il me soit permis de prendre quelques exemples.
Le Royaume-Uni, cher Gordon BROWN, veut une Europe exemplaire dans la lutte contre le changement climatique et dans la protection de l’environnement. La France le veut aussi. L’avenir de la planète dépend de notre réponse à nous, Européens. À nous d’entraîner tous les autres, les États-Unis, la Chine, l’Inde. À nous d’inventer une croissance nouvelle, forte et durable. Et l’Europe a un rôle essentiel à jouer pour parvenir à un accord universel qui succédera au protocole de Kyoto. Mais pour être crédible, l’Europe doit montrer l’exemple, doit montrer le chemin ; et qui peut convaincre l’Europe d’aller dans ce chemin ? Le Royaume-Uni et la France.
Le Royaume-Uni veut une Europe qui soit capable de maîtriser l’immigration. Et je crois avoir bien travaillé avec nos amis anglais sur la question de l’immigration et de Sangatte. Mais la France le veut aussi. Il serait totalement illusoire de croire que nous pouvons avoir encore vingt-sept politiques nationales de l’immigration, à l’heure du grand marché européen. La France et le Royaume-Uni le savent bien, nous avons développé une coopération bilatérale exemplaire. Je considère essentiel que nous nous dotions d’un pacte européen de l’immigration. Comment pouvez-vous résoudre les problèmes d’immigration qui sont les vôtres si la France ne résout pas les siens ? Et comment la France pourrait-elle résoudre les siens si, entre le Royaume-Uni et la France, il n’y a pas une même volonté politique ? Et à quoi servirait pour nous qui sommes dans l’espace Schengen d’avoir fait l’espace Schengen et de ne pas en tirer les conclusions en termes d’immigration commune ?
Je sais bien que le Royaume-Uni veut que la politique agricole soit réformée. La France y est prête. Une première étape sera franchie d’ici à la fin de l’année. Je souhaite qu’elle soit l’occasion d’un débat apaisé, constructif, qui permette de nous réunir autour de quelques grands principes. La sécurité sanitaire : que vont manger demain les consommateurs britanniques, les consommateurs français, les consommateurs européens, si on continue à importer dans n’importe quelles conditions des produits dont on ne sait pas s’ils répondent aux conditions sanitaires que sont en droit d’exiger nos consommateurs ? Je suis sûr que, sur la qualité des produits, la protection du consommateur, la sécurité sanitaire (on peut en parler), on peut trouver un chemin commun. Bien sûr, il y aura des débats financiers, on les aura, mais parlons-en.
Mesdames et Messieurs les Membres du Parlement, la France et le Royaume-Uni font face ensemble aux défis de la paix dans le monde. Nous sommes engagés ensemble dans les Balkans, nous sommes engagés ensemble en Afghanistan. La France et le Royaume-Uni, à nous deux, nous représentons les deux tiers de l’effort de défense de nos vingt-cinq partenaires européens et le double de leurs efforts de recherche. Alors je vous en prie, laissons de coté les querelles théoriques, j’allais dire théologiques, sur l’Alliance atlantique et l’Europe de la défense. Notre intérêt, et celui de nos alliés, est de renforcer les deux en développant, en Europe, les moyens militaires indispensables à notre sécurité dans le monde actuel. On dit que le Royaume-Uni et la France ont des conceptions opposées de l’Europe et que l’affrontement entre nos deux pays est une donnée structurelle de la construction européenne. Je ne suis pas d’accord, je pense profondément que nous pouvons là aussi nous allier. Je crois à la nécessité de l’OTAN. Je l’ai dit dans ma campagne électorale. Je crois à l’amitié historique avec les États-Unis d’Amérique et personne ne me fera renoncer à cette conviction. Et, dans le même temps, je pense que si l’Europe veut être digne de ce nom, elle doit être capable d’assurer sa sécurité. Elle ne peut pas simplement être capable d’assurer sa prospérité.
Bien sûr, pour nous Français, l’amitié franco-allemande, c’est la base de la réconciliation européenne. Je suis convaincu que dans l’Europe d’aujourd’hui, le moteur franco-allemand est indispensable mais il n’est pas suffisant. Et pour rassembler les vingt-sept nous avons besoin d’abord de cette nouvelle entente franco-britannique.
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement, nos deux pays occupent une place éminente dans les institutions issues de la Seconde Guerre mondiale : Nations unies, Fonds monétaire international, Banque mondiale. Je pense, comme Gordon BROWN, que ces institutions doivent être réformées parce qu’elles ont vieilli, qu’elles ne sont pas assez fortes, qu’elles ne sont pas assez justes, qu’elles ne sont plus assez légitimes. Je me battrai pour que le G8 s’ouvre progressivement pour devenir un G13 ou un G14 pour mieux refléter le nouvel équilibre du monde. Franchement, est-ce que vous croyez qu’il est raisonnable de nous réunir à huit pour parler des grands problèmes du monde et d’inviter pour le déjeuner du dernier jour deux milliards 650 millions d’habitants ? Est-ce qu’il est raisonnable, que l’on soit conservateur, libéral ou travailliste, d’imaginer qu’on peut être efficace sur le réchauffement climatique sans avoir à la table la Chine, le Brésil, l’Inde ? Est-ce qu’on peut ignorer le G5 ? Mais un jour, si nous n’y prenons garde, c’est le G5 qui n’invitera plus le G8 et c’est le G8 qui aura vieilli sans même s’en apercevoir. C’est au Royaume-Uni et à la France de porter ce message qui est un message de justice, de lucidité et de bon sens. Le monde du XXIe siècle doit être dirigé avec les institutions du XXIe siècle et non pas du XXe.
Ensemble, nos deux pays sont déterminés à rester engagés, côte à côte, avec tous nos alliés, en Afghanistan ; et je n’ai pas peur de le dire, en Afghanistan se joue une partie essentielle. La France a proposé à ses alliés de l’Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. Si ces propositions sont acceptées, la France proposera lors du sommet de Bucarest de renforcer sa présence militaire. Nous ne pouvons pas accepter un retour des talibans et d’Al-Qaïda à Kaboul. La défaite nous est interdite même si la victoire est difficile.
Ensemble, nos deux pays doivent apporter une contribution majeure à la paix entre Israéliens et Palestiniens. Nous ne pouvons pas accepter qu’au Liban la démocratie et la paix soient bafouées. Le Liban doit être un pays libre, chacun doit le comprendre, et d’abord la Syrie.
Ensemble, nos deux pays sont déterminés à arrêter les ambitions nucléaires militaires de l’Iran. Nous refusons le piège de l’alternative entre la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran.
Ensemble, nous sommes déterminés à tout faire pour que cesse la tragédie et le scandale du Darfour. Nous ne pouvons pas accepter ce qui se passe là-bas.
Ensemble, nous resterons les avocats les plus déterminés de l’Afrique et de son développement.
Ensemble, nous devons nous battre pour le respect des droits de l’Homme, le respect des identités culturelles, le respect des identités religieuses. C’est le message que le Royaume-Uni et la France doivent porter auprès des autorités chinoises à propos du Tibet, en soulignant qu’il n’y aura de solution, dans le cadre de la souveraineté chinoise, qu’à travers un dialogue entre le Dalaï-lama et le gouvernement de Pékin.
Sur tous ces sujets, nous devons agir ensemble ! Voilà, Mesdames et Messieurs les membres du Parlement, nous avons la même vision de l’avenir, nous avons la même volonté d’agir. Nos deux peuples sont aussi complexes à diriger et à conduire. Nous voulons les mêmes réformes des organisations internationales, nous voulons nous engager au service de la paix et de la sécurité.
Les défis ont changé de nature mais ce qui n’a pas changé, je voudrais vous le dire du plus profond de mon cÅ“ur, c’est la nécessité pour nos deux vieilles Nations, nos deux grandes Nations, d’être côte à côte pour porter le même message de civilisation. Le temps pour les peuples français et britannique est venu d’accomplir un acte profondément politique : dépasser nos rivalités anciennes et construire un avenir ensemble où nous serons plus forts parce que nous serons ensemble.
Qu’il soit permis à un Président français, dont la grandeur anglaise a souvent nourri les rêves de jeunesse, d’adresser le salut fraternel du peuple français au peuple britannique et de le remercier de l’accueil chaleureux qu’il nous a réservé, à la délégation que j’ai l’honneur de conduire et à mon épouse. Croyez bien que votre accueil restera gravé dans ma mémoire et dans mon cÅ“ur. Alors, oui, du fond du cÅ“ur, vive l’amitié franco-britannique ! Vive le Royaume-Uni ! Vive la France !