Citoyens,
Que d’autres vous tracent des tableaux flatteurs : je viens vous dire des vérités utiles. Je ne viens point réaliser des terreurs ridicules répandues par la perfidie ; mais je veux étouffer, s’il est possible, les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité. Je vais défendre devant vous votre autorité outragée et la liberté violée.
Je me défendrai aussi moi-même ; vous n’en serez point surpris ; vous ne ressemblez point aux tyrans que vous combattez. Les cris de l’innocence outragée n’importunent point votre oreille, et vous n’ignorez pas que cette cause ne vous est point étrangère.
Les révolutions qui, jusqu’à nous, ont changé la face des empires, n’ont eu pour objet qu’un changement de dynastie, ou le passage du pouvoir d’un seul à celui de plusieurs. La Révolution française est la première qui ait été fondée sur la théorie des droits de l’humanité, et sur les principes de la justice.
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La République, amenée insensiblement par la force des choses et par la lutte des amis de la liberté contre les conspirations toujours renaissantes, s’est glissée, pour ainsi dire, à travers toutes les factions : mais elle a trouvé leur puissance organisée autour d’elle, et tous les moyens d’influence dans leurs mains ; aussi n’a-t-elle cessé d’être persécutée dès sa naissance, dans la personne de tous les hommes de bonne foi qui combattaient pour elle ; c’est que. pour conserver l’avantage de leur position, les chefs des factions et leurs agents ont été forcés de se cacher sous la forme de la République.
Précy à Lyon, et Brissot à Paris, criaient : Vive la République ! Tous les conjurés ont même adopté, avec plus d’empressement qu’aucun autre, toutes les formules, tous les mots de ralliement du patriotisme. L’Autrichien, dont le métier était de combattre la révolution ; l’Orléanais, dont le rôle était de jouer le patriotisme, se trouvèrent sur la même ligne ; et l’un et l’autre ne pouvaient plus être distingués du républicain.
Ils ne combattirent pas nos principes, ils les corrompirent ; ils ne blasphémèrent point contre la révolution, ils tâchèrent de la déshonorer, sous le prétexte de la servir ; ils déclamèrent contre les tyrans, et conspirèrent pour la tyrannie ; ils louèrent la République et calomnièrent les républicains.
Les amis de la liberté cherchent à renverser la puissance des tyrans par la force de la vérité : les tyrans cherchent à détruire les défenseurs de la liberté par la calomnie ; ils donnent le nom de tyrannie à l’ascendant même des principes de la vérité.
Quand ce système a pu prévaloir, la liberté est perdue ; il n’y a de légitime que la perfidie, et de criminel que la vertu ; car il est dans la nature même des choses qu’il existe une influence partout où il y a des hommes rassemblés, celle de la tyrannie ou celle de la raison.
Lorsque celle-ci est proscrite comme un crime, la tyrannie règne ; quand les bons citoyens sont condamnés au silence, il faut bien que les scélérats dominent.
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Si je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l’objet, vous ne m’en ferez point un crime ; vous n’avez rien de commun avec les tyrans qui me poursuivent ; les cris de l’innocence opprimée ne sont point étrangers à vos cÅ“urs ; vous ne méprisez point la justice et l’humanité, et vous n’ignorez pas que ces trames ne sont point étrangères à votre cause et à celle de la patrie.
Eh ! quel est donc le fondement de cet odieux système de terreur et de calomnies ? A qui devons-nous être redoutables, ou des ennemis ou des amis de la République ? Est-ce aux tyrans et aux fripons qu’il appartient de nous craindre, ou bien aux gens de bien et aux patriotes ?
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Nous, redoutables à la Convention nationale ! Et que sommes-nous sans elle ? Et qui a défendu la Convention nationale au péril de sa vie
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Que les tyrans de l’Europe osent proscrire un représentant du peuple français, c’est sans doute l’excès de l’insolence ; mais que des Français qui se disent républicains travaillent à exécuter l’arrêt de mort prononcé par les tyrans, c’est l’excès du scandale et de l’opprobre.
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Partout, les actes d’oppression avaient été multipliés pour étendre le système de terreur et de calomnie. Des agents impurs prodiguaient les arrestations injustes : des projets de finances destructeurs menaçaient toutes les fortunes modiques et portaient le désespoir dans une multitude innombrable de familles attachées à la révolution ; on épouvantait les nobles et les prêtres par des motions concertées ; les paiements des créanciers de l’état et des fonctionnaires publics étaient suspendus : on surprenait au Comité de salut public un arrêté qui renouvelait les poursuites contre les membres de la commune du 10 août, sous le prétexte d’une reddition des comptes.
Au sein de la Convention, on prétendait que la Montagne était menacée, parce que quelques membres siégeant en cette partie de la salle se croyaient en danger ; et, pour intéresser à la même cause la Convention nationale tout entière, on réveillait subitement l’affaire de cent soixante-treize députés détenus, et on m’imputait tous ces événements qui m’étaient absolument étrangers ; on disait que je voulais immoler la Montagne ; on disait que je voulais perdre l’autre portion de la Convention nationale.
On me peignait ici comme le persécuteur des soixante-deux députés détenus ; là, on m’accusait de les défendre ; on disait que je soutenais le Marais – c’était l’expression de mes calomniateurs.
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Ah ! certes, lorsque, au risque de blesser l’opinion publique, ne consultant que les intérêts sacrés de la patrie, j’arrachais seul à une décision précipitée ceux dont les opinions m’auraient conduit à l’échafaud, si elles avaient triomphé ; quand, dans d’autres occasions, je m’exposais à toutes les fureurs d’une faction hypocrite, pour réclamer les principes de la stricte équité envers ceux qui m’avaient jugé avec plus de précipitation, j’étais loin, sans doute, de penser que l’on dût me tenir compte d’une pareille conduite.
J’aurais trop mal présumé d’un pays où elle aurait été remarquée, et où l’on aurait donné des noms pompeux aux devoirs les plus indispensables de la probité ; mais j’étais encore plus loin de penser qu’un jour on m’accuserait d’être le bourreau de ceux envers qui je les ai remplis, et l’ennemi de la représentation nationale que j’avais servie avec dévouement ; je m’attendais bien moins encore qu’on m’accuserait à la fois de vouloir la défendre et de vouloir l’égorger.
Quoi qu’il en soit, rien ne pourra jamais changer ni mes sentiments ni mes principes. A l’égard des députés détenus, je déclare que, loin d’avoir eu aucune part au dernier décret qui les concerne, je l’ai trouvé au moins très extraordinaire dans les circonstances ; que je ne me suis occupé d’eux en aucune manière depuis le moment où j’ai fait envers eux tout ce que ma conscience m’a dicté,
A l’égard des autres, je me suis expliqué sur quelques-uns avec franchise ; j’ai cru remplir mon devoir. Le reste est un tissu d’impostures atroces.
Quant à la Convention nationale, mon premier devoir, comme mon premier penchant, est un respect sans bornes pour elle. Sans vouloir absoudre le crime, sans vouloir justifier en elles-mêmes les erreurs funestes de plusieurs, sans vouloir ternir la gloire des défenseurs énergiques de la liberté ni affaiblir l’illusion d’un nom sacré dans les annales de la révolution, je dis que tous les représentants du peuple dont le cÅ“ur est pur doivent reprendre la confiance et la dignité qui leur convient.
Je ne connais que deux partis, celui des bons et des mauvais citoyens ; que le patriotisme n’est point une affaire de parti, mais une affaire de cÅ“ur ; qu’il ne consiste ni dans l’insolence, ni dans une fougue passagère qui ne respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la morale ; encore moins dans le dévouement aux intérêts d’une faction.
Le cÅ“ur flétri par l’expérience de tant de trahisons, je crois à la nécessité d’appeler surtout la probité de tous les sentiments généreux au secours de la République.
Je sens que partout où on rencontre un homme de bien, en quelque lieu qu’il soit assis, il faut lui tendre la main, et le serrer contre son cÅ“ur, je crois à des circonstances fatales dans la révolution, qui n’ont rien de commun avec les desseins criminels, je crois à la détestable influence de l’intrigue, et surtout à la puissance sinistre de la calomnie.
Je vois le monde peuplé de dupes et de fripons : mais le nombre des fripons est le plus petit : ce sont eux qu’il faut punir des crimes et des malheurs du monde.
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N’ont-ils pas appelé nos armées » les hordes conventionnelles » ; la révolution française «le jacobinisme»? Et lorsqu’ils alertent de donner à un faible individu, en butte aux outrages de toutes les factions, une importance gigantesque et ridicule, quel peut être leur but, si ce n’est de vous diviser, de vous avilir, en niant votre existence même, semblables à l’impie qui nie l’existence de la divinité qu’il redoute ?
Cependant ce mot de dictature a des effets magiques ; il pétrit la liberté ; il avilit le gouvernement : il détruit la République ; il dégrade toutes les institutions révolutionnaires, qu’on présente comme l’ouvrage d’un seul homme ; il rend odieuse la justice nationale, qu’il présente comme instituée pour l’ambition d’un seul homme ; il dirige sur un point toutes les haines et tous les poignards du fanatisme et de l’aristocratie.
Quel terrible usage les ennemis de la République ont fait du seul nom d’une magistrature romaine ! Et si leur érudition nous est si fatale, que sera-ce de leurs trésors et de leurs intrigues ? Je ne parle point de leurs armées : mais qu’il me soit permis de renvoyer au duc d’York et à tous les écrivains royaux les patentes de cette dignité ridicule qu’ils m’ont expédiées les premiers.
Il y a trop d’insolence à des rois, qui ne sont pas sûrs de conserver leur couronne, de s’arroger le droit d’en distribuer à d’autres. Je conçois qu’un prince ridicule, que cette espèce d’animaux immondes et sacrés qu’on appelle encore rois, puissent se complaire dans leur bassesse et s’honorer de leur ignominie ; je conçois que le fils de Georges, par exemple, puisse avoir regret de ce sceptre français qu’on le soupçonne violemment d’avoir convoité, et je plains sincèrement ce moderne Tantale.
J’avouerai même, à la honte, non de ma patrie. mais des traîtres qu’elle a punis, que j’ai vu d’indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce titre glorieux pour celui de valet de chambre de Georges ou de d’Orléans.
Mais qu’un représentant du peuple qui sent la dignité de ce caractère sacré, qu’un citoyen français digne de ce nom puisse abaisser ses vÅ“ux jusqu’aux grandeurs coupables et ridicules qu’il a contribué à foudroyer, qu’il se soumette à la dégradation civique pour descendre à l’infamie du trône, c’est ce qui ne paraîtra vraisemblable qu’à ces êtres pervers qui n’ont pas même le droit de croire à la vertu.
Que dis-je, vertu ? c’est une passion naturelle, sans doute : mais comment la connaîtraient-ils, ces âmes vénales, qui ne s’ouvrirent jamais qu’à des passions lâches et féroces : ces misérables intrigants, qui ne lièrent jamais le patriotisme à aucune idée morale, qui marchèrent dans la révolution à la suite de quelque personnage important et ambitieux, de je ne sais quel prince méprisé, comme jadis nos laquais sur les pas de leurs maîtres ?
(…)
Ils m’appellent tyran. Si je l’étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d’or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l’étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté ! ) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu’attendent-ils, si ce n’est le secours d’une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire et la liberté de notre pays ?
On arrive à la tyrannie par le secours des fripons ; où courent ceux qui les combattent ? Au tombeau et à l’immortalité.
Quel est le tyran qui me protège ? Quelle est la faction à qui j’appartiens ? C’est vous-mêmes.
Quelle est cette faction qui, depuis le commencement de la révolution, a terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités ? C’est vous, c’est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués.
C’est vous qu’on persécute ; c’est la patrie, ce sont tous les amis de la patrie. Je me défends encore. Combien d’autres ont été opprimés dans les ténèbres’ Qui osera jamais servir la patrie, quand je suis obligé encore ici de répondre à de telles calomnies ?
Ils citent comme la preuve d’un dessein ambitieux les effets les plus naturels du civisme et de la liberté ; l’influence morale des anciens athlètes de la révolution est aujourd’hui assimilée par eux à la tyrannie.
Vous êtes, vous-mêmes, les plus lâches de tous les tyrans, vous qui calomniez la puissance de la vérité. Que prétendez-vous, vous qui voulez que la vérité soit sans force dans la bouche des représentants du peuple français ?
La vérité, sans doute, a sa puissance ; elle a sa colère, son despotisme ; elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force dans les cÅ“urs purs, comme dans les consciences coupables, et qu’il n’est pas plus donné au mensonge d’imiter qu’à Salmonée d’imiter les foudres du ciel : mais accusez-en la nature, accusez-en le peuple qui le sent et qui l’aime.
Il y a deux puissances sur la terre ; celle de la raison et celle de la tyrannie ; partout où l’une domine, l’autre en est bannie. Ceux qui dénoncent comme un crime la force morale de la raison cherchent donc à rappeler la tyrannie.
Si vous ne voulez pas que les défenseurs des principes obtiennent quelque influence dans cette lutte difficile de la liberté contre l’intrigue, vous voulez donc que la victoire demeure à l’intrigue ? Si les représentants du peuple qui défendent sa cause ne peuvent pas obtenir impunément son estime, quelle sera la conséquence de ce système, si ce n’est qu’il n’est plus permis de servir le peuple, que la République est proscrite et la tyrannie rétablie ?
Et quelle tyrannie plus odieuse que celle qui punit le peuple dans la personne de ses défenseurs ? Car la chose la plus libre qui soit dans le monde, même sous le règne du despotisme, n’est-ce pas l’amitié ?