Je parle maintenant du meurtre volontaire avec préméditation, monsieur Ribot. C’est un degré particulier de complication du meurtre. Dans tous les cas, cette forme la plus grave du meurtre, dans la période de 1895 à 1901, était de 137 par année en moyenne; et dans la période de 1900 à 1906, c’est-à-dire dans celle où commence chez nous une recru-descence de la criminalité, il y a eu en Angleterre non plus 137 mais 150 assassinats en moyenne par année. Les tentatives de meurtre – attempts of murder- c’est à-dire les meurtres qui n’ont pas abouti à la suppres-sion de la personne, ces tentatives de meurtre, qui étaient de 87 en moyenne par an dans la période de 1895 à 1901, passent à 105 par an dans la période de 1901 à 1905. En sorte que si les Anglais appliquaient les conclusions que nous tirons des statistiques pour une période aussi courte, ils devraient chercher à ren-forcer la peine de mort comme insuffisante ; en tout cas, s’ils ne l’avaient pas, ils auraient été, par votre raisonnement, induits à l’établir. Or à l’heure où je parle, la Chambre des communes est saisie de nombreux projets qui tendent à la limiter. Non, messieurs, vous le voyez, des statistiques vous ne pouvez conclure qu’une chose, c’est que dans les pays, de tempéraments divers, où la peine de mort, depuis trente, quarante, cinquante ans n’est pas appliquée, il n’y a pas eu de recrudescence inquiétante de la criminalité. En France même, depuis quarante ans le mouvement est à peu près stationnaire. Quelles sont les causes de cette recrudescence momentanée, depuis trois ans ?
Ah ! Messieurs, je n’ai pas la prétention de démêler à fond; mais savez-vous quelle est notre objection princi-pale contre la peine de mort ? Savez-vous quelle devrait être, pour tous les républicains, pour tous les hommes, l’objection principale contre la peine de mort? C’est qu’elle détourne précisément les assemblées, c’est qu’elle détourne les nations de la recherche des responsabilités sociales dans le crime.
Ah ! c’est chose facile, c’est procédé commode : un crime se commet, on fait monter un homme sur l’échafaud, une tête tombe; la question est réglée, le problème est résolu. Nous, nous disons qu’il est simplement posé; nous disons que notre devoir est d’abattre la guillotine et de regarder au-delà les respon-sabilités sociales.
Nous disons, messieurs, qu’il est très commode et qu’il serait criminel de concentrer, sur la seule tête des coupables, toute la responsabilité. Nous en avons notre part, tous les hommes en ont leur part, la nation tout entière en a sa part. […]
On nous dit : « La peine de mort! elle est nécessaire, elle est exemplaire ; si on la supprime, les crimes vont se multiplier. »
Messieurs, j’ai d’abord le droit de dire à la com-mission que c’est à elle de faire la preuve. Vous recon-naissez, vous-mêmes, que la peine de mort est atroce, qu’elle est une forme de la barbarie, que vous vou-driez la rejeter, que vous demanderiez au pays de la rejeter, si elle n’était pas strictement indispensable à la sécurité des hommes.
C’est à vous, messieurs, de faire la preuve, par des faits décisifs, qu’elle est, en effet, indispensable.
Or, qu’est-ce que je remarque ? Ah ! si vous la maintenez, si vous la développez, il y aura demain une certitude, la certitude que des têtes humaines tomberont; mais il y aura cette certitude aussi que, parmi ces têtes qui tomberont, il y aura des têtes d’innocents…