Une faction puissante conspire avec les tyrans de l’Europe pour nous donner un roi, avec une espèce de constitution aristocratique. Elle espère nous amener à cette transaction honteuse, par la force des armes étrangères, & par les troubles du dedans. Ce système convient au gouvernement anglais, il convient à Pitt, l’âme de toute cette ligue ; il convient à tous les ambitieux ; il plaît à tous les aristocrates bourgeois, qui ont horreur de l’égalité, à qui l’on a fait peur même pour leurs propriétés ; il plaît même aux nobles, trop heureux de trouver dans la représentation aristocratique & dans la cour d’un nouveau roi, les distinctions orgueilleuses qui leur échappaient. La Révolution ne convient qu’au peuple, aux hommes de toutes les conditions qui ont une âme pure & élevée, aux philosophes amis de l’humanité, aux sans-culottes, qui se sont, en France, parés avec fierté de ce titre, dont Lafayette & l’audacieuse cour voulaient les flétrir, comme les républicains de Hollande s’emparèrent de celui de gueux, que le duc d’Albe, leur avait donné.
Le système aristocratique, dont je parle, était celui de Lafayette & de tous ses pareils, connus sous le nom de feuillans, & de modérés ; il a été continué par ceux qui ont succédé à sa puissance. Quelques personnages ont changé, mais le but est semblable ; les moyens sont les mêmes, avec cette différence, que les continuateurs ont augmenté leurs ressources, & accru le nombre de leurs partisans.
Tous les ambitieux qui ont paru jusqu’ici sur le théâtre de la Révolution ont eu cela de commun, qu’ils ont défendu les droits du peuple, aussi long-temps qu’ils ont cru en avoir besoin. Tous l’ont regardé comme un stupide troupeau, destiné à être conduit par le plus habile ou par le plus fort. Tous ont regardé les assemblées représentatives comme des corps composés d’hommes ou cupides, ou crédules, qu’il fallait corrompre ou tromper, pour les faire servir à leurs projets criminels. Tous se sont servis des société populaires contre la cour, & dès le moment où ils eurent fait leur pacte avec elle, ou qu’ils l’eurent remplacée, ils ont travaillé à les détruire. Tous ont successivement combattu pour ou contre les Jacobins, selon les temps & les circonstances.
Comme leurs devanciers, les dominateurs actuels ont caché leur ambition sous le masque de la modération & de l’amour de l’ordre. Comme leurs devanciers, ils ont cherché à décréditer les principes de la liberté.
Pour mieux y réussir, ils ont même cherché à en faire quelquefois de ridicules applications. Ils ont appelé tous les amis de la patrie des agitateurs, des anarchistes, quelquefois même ils en ont suscité de véritables, pour réaliser cette calomnie. Ils se sont montrés habiles dans l’art de couvrir leurs forfaits, en les imputant au peuple. Ils ont, de bonne heure, épouvanté les citoyens du fantôme d’une loi agraire ; ils ont séparé les intérêts des riches de ceux des pauvres ; ils se sont présentés aux premiers comme leurs protecteurs contre les sans-culottes ; ils ont attiré à leur parti tous les ennemis de l’égalité. Maîtres du gouvernement & de toutes les places, dominant dans les tribunaux & les corps administratifs ; dépositaires du trésor public, ils ont employé toute leur puissance à arrêter les progrès de l’esprit public, à réveiller le royalisme, & à ressusciter l’aristocratie ; ils ont opprimé les patriotes énergiques, protégé les modérés hypocrites ; ils ont corrompu successivement les défenseurs du peuple, attaché à leur cause ceux qui montraient quelque talent, & persécuté ceux qu’ils ne pouvaient séduire. Comme la république pouvait-elle subsister, quand toute la puissance publique s’épuisait pour décourager la vertu, & pour récompenser l’incivisme & la perfidie ?
La faction dominante aujourd’hui était formée long-temps avant la Convention nationale. A la fin de juillet dernier, ils négociaient avec la cour, pour obtenir le rappel des ministres qu’ils avaient fait nommer au mois de janvier précédent. L’une des conditions du traité était la nomination d’un gouverneur au prince royal ; il n’est pas nécessaire de dire que le choix devait porter sur l’un d’entr’eux. A la même époque, ils s’opposaient de tout leur pouvoir à la déchéance de Louis, demandée par le peuple & par les fédérés ; ils firent décréter un message & des représentations au roi. Ils n’ont rien négligé pour empêcher la révolution du 10 août ; dès le lendemain, ils travaillèrent efficacement à en arrêter le cours. Le jour même du 10, ils firent tout ce qui était en eux, pour que le ci-devant roi ne fut pas enfermé au Temple ; ils tachèrent de nous rattacher à la royauté, en faisant décréter par l’assemblée législative, qu’il serait nommé un gouverneur au prince. A ces faits, consignés dans les actes publics, & dans l’histoire de notre révolution, vous reconnaissez déjà les Brissot, les Guadet, les Vergniaux, les Gensonné, & d’autres agens hypocrites de la même coalition.
En même-tems, ils n’oublièrent rien pour déshonorer la révolution qui venait d’enfanter la République. Dès le lendemain du 10 Août, ils calomniaient le conseil de la commune, qui, dans la nuit précédente, venait de se dévouer à la liberté, en même-tems qu’ils entravaient toutes ses opérations parleurs intrigues & par les décrets qu’ils dictaient à l’assemblée législative.
Eux seuls recueillirent les fruits de la victoire du peuple ;ils s’en attribuèrent même tout l’honneur. Leur premier soin, après l’acte conservatoire du prince royal & de la royauté, fut de rappeler au ministère leurs créatures, Servan, Clavière & Rolland. Ils s’appliquèrent sur-tout à s’emparer de l’opinion publique ; ils avaient eu soin de faire remettre entre les mains de Rolland des sommes énormes pour la façonner à leur gré. Auteurs ou payeurs des journaux les plus répandus, ils ne cessèrent de tromper la France & l’Europe sur la révolution qui venait de renverser le trône. Ils dénoncèrent chaque jour le peuple de Paris & tous les citoyens généreux qui y avaient le plus puissamment concouru.
Il fallait détruire ce vaste foyer du républicanisme & des lumières publiques ; ils s’accordèrent tous à peindre cette immortelle cité comme le séjour du crime & le théâtre du carnage, & à travestir en assassins ou en brigands les citoyens & les représentans dont ils redoutaient l’énergie. Ils cherchèrent à armer, contre Paris, la défiance & la jalousie des autres partie de la République ; & cependant les Prussiens se préparaient à envahir notre territoire. ( C’était l’époque du mois de septembre 1792.) Les dominateurs étaient membres du comité diplomatique, du comité de défense générale ; ils dirigeaient le ministère ; ils avaient eu d’étroités relations avec la cour, & ils laissaient ignorer à la France entière, au corps législatif même, les dangers qui nous menaçaient. Les ennemis s’étaient rendus maîtres de Longwy, de Verdun ; ils s’avançaient vers Paris, & les dominateurs avaient gardé le silence ; ils ne s’occupaient que d’afficher, que d’écrire contre Paris. Notre armée était faible, divisée, mal approvisionnée ; & si Paris e s’était levé tout-à-coup ; i, à son exemple, la France ne s’était pas ébranlée, Brunswick pénétrait, sans ésistance, usqu’au coeur de l’Etat. Mais ce n’est pas tout, la faction voulait livrer Paris & la France ; elle voulait fuir avec l’Assemblée législative, avec le trésor public, avec le conseil exécutif, avec le roi prisonnier & sa famille. Les ministres qu’ils avaient nommés, Rolland, Servan, Clavière, Le Brun, parlaient de ce projet au députés ; il fut proposé dans le conseil, & il était adopté, si le ministre de la justice n’en eût empêcher l’exécution, en menaçant ses collègues de les dénoncer au peuple, & si Paris ne l’eût fait avorter, ense levant pour écraser les ennemis de la France. Ce projet de fuite est connu des membres de l’Assemblée législative & de plusieurs citoyens ;il a été dénoncé à la Convention nationale, & Rolland lui-même a été forcé de l’avouer dans sa lettre à la Convention nationale du [ 30 septembre 1792 ].
La Convention nationale était convoquée. La majorité était pure ; mais un grand nombre de représentans, trompés d’avance par les papiers imposteurs dont la faction disposait, apportèrent à Paris des préventions sinistres, qui devaient causer bien des maux ; & d’ailleurs ce fut toujours le sort des hommes qui ont des lumières sans probité, ou de la probité sans lumières, d’être les complices ou les jouets de l’intrigue.
Le décret qui déclare la royauté abolie, proposé à la fin de la première séance par un des députés de paris calomniés fut rendu avec enthousiasme. Si le lendemain on eût agité l’affaire du tyran, il eût été condamné ; & si la Convention, libre de leur dangereuse influence, s’était ensuite occupée du bonheur public, la liberté & la paix seraient maintenant affermies ; mais les intrigans, qui n’avaient pu s’opposer à la proclamation de la République, s’appliquèrent à l’étouffer dans sa naissance ; en possession des comités les plus importans de l’Assemblée législative, qu’ils firent conserver provisoirement, ils composèrent bientôt les nouveaux à leur gré, ils s’emparèrent du bureau, du fauteuil & même de la tribune. Ils tenaient toujours dans leurs mains le ministère, & le sort de la nation. Ils occupèrent sans cesse la Convention nationale de dénonciations contre la municipalité de Paris, contre la majorité des députés de Paris. Ils inventèrent, ils répétèrent cette ridicule fable de la dictature, qu’ils imputaient à un citoyen sans pouvoir comme sans ambition, pour faire oublier, & l’affreuse oligarchie qu’ils exerçaient eux-mêmes, & le projet de la tyrannie nouvelle qu’ils voulaient ressusciter. Par là ils cherchaient encore à dégoûter le peuple français de la République naissante, à arrêter les progrès de notre révolution dans les contrées voisines, en leur présentant la chute du trône comme l’ouvrage d’une ambition criminelle, & le changement du gouvernement comme un changement de maître.
De là ces éternelles déclamations contre la justice révolutionnaire qui immola les Montmorin, les Lessart, & d’autres conspirateurs, au moment où le peuple & les fédérés s’ébranlaient pour repousser les Prussiens. Dès ce moment, ils ne cessèrent de remplir les âmes des députés de défiance, de jalousie, de haine & de terreurs, & de faire entendre dans le sanctuaire de la liberté, les clameurs des plus vils préjugés, & les rugissements des plus furieuses passions. Dès-lors ils ne cessèrent de souffler le feu de la guerre civile, & dans la Convention même, & dans les départemens, soit par leurs journaux, soit par leurs harangues à la tribune, soit par leur correspondance.
Ils étaient venus à bout de reculer par là, pendant quatre mois, le procès du tyran. Quelles chicanes ! quelles entraves ! quelles manoeuvres employées durant la discussion de cette affaire ! Qui peut calculer sans frémir les moyens employés par Rolland, les sommes prodiguées par le ministère pour dépraver l’esprit public, pour apitoyer le peuple sur le sort du dernier rois ? Avec quelle lâche cruauté les avocats du tyran appelaient des corps armés contre Paris & contre les députés patriotes, dénoncés par eux comme des assassins & comme des traîtres ! Avec quelle insolent mépris des loix, des corps administratifs, dignes de ces députés, les levaient de leur autorité privée aux dépens du trésor public ! avec quelle perfide audace cette même faction protégeait de toutes parts la rentrée des émigrés, & ce rassemblement de tous les assassins & de tous les scélérats de l’Europe à Paris ! Avec quel odieux machiavélisme on emploie tous les moyens de troubler la tranquillité de cette ville & de commencer la guerre civile, sans même dédaigner celui de faire ordonner, par un décret, la représentation d’une pièce aristocratique ( l’Ami des loix ) qui avait déjà fait couler le sang, & que la sagesse des magistrats du peuple avait interdite !
A quoi à tenu le salut de la patrie & la punition du tyran ? au courage invincible des patriotes, à l’énergie calme du peuple, éclairé sur ses véritables intérêts, & sur-tout à la réunion imprévue des fédérés. S’ils avaient conservé les fatales préventions que leur avaient inspirées ceux qui les appelés, si le bandeau était resté deux jours de plus sur leurs yeux, ç’en était fait de la liberté ; le tyran était absous, les patriotes égorgés, le fer même des défenseurs de la patrie égarés se serait combiné avec celui des assassins royaux ; Paris était en proie à toutes les horreurs, & la Convention nationale, escortée des satellites qu’ils avaient rassemblés, fuyait au milieu de la confusion & de la consternation universelle.
Mais, ô force toute puissante de la vérité & de la vertu ! Ces généreux citoyens ont abjuré leurs erreurs ; ils ont reconnu, avec une sainte indignation, les trames perfides de ceux quii les avaient trompés ; ils les ont voué au mépris public, ils ont serré dans leurs bras les parisiens calomniés ; réunis tous aux Jacobins, ils ont juré, avec le peuple, une haine éternelle aux tyrans, & un dévouement sans bornes à la liberté. Ils ont cimenté cette sainte alliance sur la place du Carrousel, par des fêtes civiques, où assistèrent tous les magistrats de cette grande cité, avec un peuple généreux que l’enthousiasme du patriotisme élevait au-dessus de lui-même. Quel spectacle ! comme il console des noirceurs, de la perfidie & des cries de l’ambition ! Ce grand événement fit pencher la balance dans la Convention nationale, en faveur des défenseurs de la liberté ; il déconcerta les intrigans & enchaîna les factieux. Lepelletier seul fut la victime de son courage à défendre la cause de la liberté, quoique plusieurs patriotes aient été poursuivis par les assassins. Heureux martyr de la liberté, tu ne verras pas les maux que nos ennemis communs ont préparé à la patrie !
Au reste, quelques efforts qu’ils aient fait pour sauver Louis XVI, je ne crois pas que ce soit lui qu’ils voulussent placer sur le trône ; mais il fallait lui conserver la vie pour sauver l’honneur de la royauté qu’on voulait rétablir, pour remplir un des articles du traité fait avec Londres, & la promesse donnée à Pitt, comme le prouvent les discours de ce ministre du parlement d’Angleterre. Il fallait surtout allumer la guerre civile par l’appel au peuple, afin que les ennemis qui devaient bientôt nous attaquer, nous trouvassent occupés à nous battre pour la querelle du roi détrôné.
La punition éclatante de ce tyran, la seule victoire que les républicains aient remportée à la Convention nationale, n’a fait que reculer le moment où la conspiration devait éclater ; les députés patriotes désunis, isolés, sans politique & sans plan, se sont rendormis dans une fausse sécurité, & les ennemis de la patrie ont continué de veiller pour la perdre.
Déjà ils recueillent les fruits des semences de guerre civile qu’ils ont jetées depuis si long-tems, & la ligue des traîtres de l’intérieur avec les tyrans du dehors se déclare.
On se rappellera ici que ce sont les chefs de cette faction qui, en 1791, prêtèrent à la cour le secours de leur fausse popularité, pour engager la nation dans cette guerre provoquée par la perfidie, déclarée par l’intrigue & conduite par la trahison. Je leur disais, alors, aux Jacobins, où ils venaient prêcher leur funeste croisade, où Dumouriez lui-même coiffé du bonnet rouge, venait étaler tout le charlatanisme dont il est doué : » Avant de déclarer la guerre aux étrangers, détruisez les ennemis du dedans ; punissez les attentats d’une cour parjure, qui cherche elle-même à armer l’Europe contre vous ; changez les états-majors qu’elle a composés de ses complices & de ses satellites ; destituez les généraux perfides qu’elle a nommés & surtout Lafayette déjà souillé tant de fois du sang du peuple. Forcez le gouvernement à armer les défenseurs de la patrie, qui demandent en vain des armes depuis deux ans ; fortifiez & approvisionnez nos places frontières, qui sont dans un dénuement absolu. Faites triompher la liberté au-dedans ; & nul ennemi étranger n’oser vous attaquer ; c’est par les progrès de la philosophie, & par le spectacle du bonheur de la France, que vous étendrez l’empire de notre révolution, & non par la force des armes & par les calamités de la guerre. En vous portant agresseurs, vous irritez les peuples étrangers contre vous ; vous favorisez les vues des despotes & celles de la cour, qui a besoin de faire déclarer la guerre par les représentans de la nation, pour échapper à la défiance & à la colère du peuple.
Les chefs de la faction répondaient par des lieux communs, pour allumer l’enthousiasme des ingnorans ; ils nous montraient l’Europe entière volant au-devant de la constitution française, les armées des despotes se débandant par-tout, pour accourir sous nos drapeaux, & l’étendard tricolore flottant sur les palais des électeurs, des rois, des papes & des empereurs. Ils excusaient la cour ; ils louaient les ministres, sur-tout Narbonne ; ils prétendaient que quiconque cherchait à inspirer de la défiance contre les ministres, contre Lafayette & contre les généraux, était un désorganisateur, un factieux, qui compromettait la sûreté de l’Etat.
En dépit de toutes les intrigues, les Jacobins résistèrent constamment à la proposition qu’ils leur firent de prononcer leur opinion en faveur de la guerre ; mais tel était le prix qu’ils attachaient à consacrer les projets de la cour par la sanction des sociétés populaires, que le comité de correspondance de cette société, composé de leurs émissaires, osa envoyer, à son insu, une lettre circulaire à toutes les sociétés affiliées, pour leur annoncer que le voeu des Jacobins était pour la guerre ; ils portèrent même l’impudence jusqu’à dire que ceux qui avaient combattu ou embrassé l’opinion contraire, l’avaient solennellement abjurée. Ce fut par ces manoeuvres que l’on détermina les patriotes même de l’assemblée législative à voter comme le côté droit & comme la cour.
Le prix de cette intrigue fut l’élévation de la faction au ministère, dans la personne de Clavière, Rolland, Servan & Dumouriez.
Nos prédictions ne tardèrent pas à s’accomplir. la première campagne fut marquée par des trahisons & des revers, qui ne furent, pour la cour & pour Lafayette, que de nouveaux prétextes pour demander des lois de sang contre les plus zélés défenseurs de la patrie, & un pouvoir absolu, qui leur fut accordé sur la motion des chefs de la faction, & particulièrement des Guadet, des Gensonné. Dès ce temps-là, tous ceux qui osaient soupçonner les généraux & la cour, furent dénoncés comme des agitateurs & des factieux. On se rappellera avec quel zèle les mêmes hommes défendaient, divinisaient le ministre Narbonne, avec quelle insolence ils outrageaient l’armée & les patriotes.
Bientôt tous nos généraux nous trahirent à l’envi ; une invasion dans la Belgique ne produisit d’autre effet que de livrer ensuite nos alliés à la vengeance de leur tyran, & d’irriter les étrangers contre nous, par l’infâme attentat du traître Jarri, qui n’a même pas été puni. Nos places fortes étaient dégarnies ; notre armée divisée par les intrigues des états-majors, & presque nulle ; tous les chefs s’efforçaient à l’envi de la royaliser ; la ligue des tyrans étrangers se fortifiait ; l’époque du mois d’août ou de septembre était destinée pour leur invasion combinée avec la conspiration de la cour des Thuileries contre Paris & contre la liberté.C’en était fait de l’une & de l’autre, sans la victoire remportée par le peuple & les fédérés, le 10 août 1792 ; & lorsqu’au commencement du mois de septembre suivant, Brunswick, encouragé sans doute par la faction, osa envahir le territoire français, vous avez vu qu’ils ne songeaient qu’à abandonner & à perdre Paris.
Mais, en dépit de tous les factieux hypocrites qui s’opposaient à cette insurrection nécessaire, Paris se sauva lui-même. Dumouriez était à la tête de l’armée ; auparavant Brissot avait écrit de lui, qu’après Bonne-Carrère, Dumouriez était le plus vil des hommes. Dumouriez avait répondu, par écrit, que Brissot était le plus grand des fripons, sans aucune espèce de réserve. Il avait affiché que la cause du courroux que la faction affectait contre lui, était le refus qu’il avait fait de partager avec elle les six millions qu’elle lui avait fait accorder pour dépenses secrètes, dans le temps de son ministère & de leur amitié. Ils annoncèrent des dénonciations réciproques, qui n’eurent point lieu. C’est encore un problème, à quel point cette brouillerie était sérieuse ; mais ce qui est certain, c’est qu’au moment où il prit le commandement de l’armée de Châlon, il était très-bien avec la faction & avec Brissot, qui le pria d’employer Miranda dans une commission importante, s’il en faut croire ce que Brissot a dit lui-même au Comité de défense générale. J’ignore ce qu’aurait fait Dumouriez, si Paris & les autres départemens ne s’étaient levés au mois de septembre pour écraser les ennemis intérieurs & extérieurs ; mais ce qui est certain, c’est que ce mouvement général de la nation n’était pas favorable au roi de Prusse pour pénétrer au coeur de la France ; Dumouriez l’éconduisit avec beaucoup de politesse, pendant une longue retraite assez paisible, en dépit de nos soldats, dont on enchaînait constamment l’impétuosité, & qui mordaient leur sabre, en frémissant de voir que leur proie leur échappait. L’armée prussienne, ravagée par la maladie & par la disette, a été sauvée ; elle a été ravitaillée, traitée avec une générosité qui contraste avec les cruauté dont nos braves défenseurs ont été les victimes ; Dumouriez a parlementé, a traité avec le roi de Prusse, dans le moment où la France & l’armée s’attendaient à voir la puissance & l’armée de ce despote ensevelies à la fois dans les plaines de la Champagne ou de la Lorraine, où Dumouriez avait annoncé lui-même dans ses lettres à l’Assemblée nationale, que les ennemis ne pouvaient lui échapper. Il se montra aussi complaisant & aussi respectueux pour le roi de Prusse, qu’il fut depuis insolent avec la Convention nationale. Il est au moins douteux s’il a rendu plus de services à la république qu’aux Prussiens & aux émigrés. Au lieu de terminer la guerre & d’affermir la révolution en exterminant cette armée dont nos ennemis n’auraient jamais pu réparer la perte ; au lieu de se joindre aux autres généraux pour pousser nos conquêtes jusqu’au Rhin, il revient à Paris ; &, après avoir vécu quelque temps dans une étroite intimité avec les coriphées de la faction, il part pour la Belgique.
Il débute par un succès brillant, nécessaire pour lui donner la confiance que sa conduite avec les Prussiens était loin de lui avoir assurée ; & quiconque rapprochera de ce qui se passe aujourd’hui, la brusque témérité qui acheta la victoire de Jemmapes par le sacrifice de tant de Français républicains, concevra facilement que ce succès même était plus favorable au despotisme qu’à la liberté. Dumouriez était maître de la Belgique ; si, dès ce moment, il avait aussi-tôt envahi la Hollande, la conquête de ce pays était certaine ; nous étions maître de la flotte hollandaise ; les richesses de ce pays se confondaient avec les nôtres, & sa puissance ajoutée à celle de la France ; le gouvernement anglais était perdu, & la révolution de l’Europe était assurée. On a dit, & je l’ai cru moi-même un instant sur ces ouï-dires, que tel était le projet de Dumouriez ; qu’il avait été arrêté parle Conseil exécutif ; mais il est démontré que ce bruit n’était qu’une nouvelle imposture répandue par la faction. En effet, si, comme on l’a dit, Dumouriez avait conçu ce grand dessein, s’il y attachait sa gloire & sa fortune, pourquoi n’a-t-il pas réclamé l’appui de l’opinion publique contre les oppositions perfides du Conseil exécutif ? Pourquoi n’a-t-il pas invoqué la nation elle-même contre les intrigues qui compromettaient son salut ? Il est bien naturel de penser que ce bruit n’avait été répandu par les ennemis de Dumouriez, que pour lui concilier la confiance. On sait assez que les chefs de cette faction ont l’art de paraître quelquefois divisés pour cacher leur criminelle intelligence. Au surplus, que Dumouriez ait eu part ou non à ce retard funeste qu’a éprouvé l’expédition de la Hollande, il doit du moins être imputé à la malveillance de la majorité du conseil exécutif & des coriphées de la faction qui dominait dans les comités diplomatique & de défense générale. Les députés bataves se sont plaints eux-mêmes hautement dans un mémoire qu’ils ont rendu public, & qui est entre nos mains, de l’opiniâtreté avec laquelle leurs offres & leurs instances ont été repoussées depuis trois mois par le ministre des affaires étrangères. On ne peut nier au moins que Dumouriez & les chefs de la faction ne fussent parfaitement d’accord sur le projet de ravir la Belgique à la France. On connaît les efforts de Dumouriez pour empêcher l’exécution des décrets des 15 & des 25 décembre. On connaît toutes ses perfidies. D’un autre côté, on sait comment le comité diplomatique a repoussé tous les peuples qui voulaient s’incorporer à nous. Rolland disait des députés de la Savoie : » On doit m’envoyer des Savoisiens, pour solliciter la réunion de ce pays ; je les recevrai à cheval. » Comment est-il possible que vous vouliez vous réunir à notre anarchie, disait Brissot, aux Belges & aux Liégeois ; tel était le langage des Guadets, des Gensonné. Ils sont venus à bout de retarder toutes ces réunions jusqu’au moment où le parti ennemi de la révolution eut tout disposé pour les troubler, & que les despotes eurent rassemblé des forces suffisantes contre nous.
Dumouriez & ses partisans portèrent un coup mortel à la fortune publique, en empêchant la circulation des assignats dans la Belgique. Après avoir fatigué cette contrée par ses intrigues, après avoir levé, de son autorité privée, des sommes énormes qu’il chargeait la nation de rembourser, il part enfin pour la Hollande, & s’empare de quelques places dans la Gueldre. Mais, tandis qu’on ne nous parlait que de succès & de prodiges, tout était disposé pour nous enlever en un moment la Belgique. Stengel & Miranda, le premier aristocrate allemand, l’autre aventurier espagnol, chassé du Pérou, ensuite employé par Pitt & donné par l’Angleterre à la France, enfin adopté particulièrement par Dumouriez, Brissot, Pétion, nous trahissaient en même-temps à Aix-la-Chapelle & à Maësticht. Une partie de l’armée exposée dans un poste désavantageux, appellée improprement l’avant-garde, puisqu’elle n’avait rien derrière elle, disséminée sur un si grand espace de terrain, qu’encas d’attaque, les corps qui la composaient ne pouvaient se rallier ni se soutenir, est livrée à une armée ennemie dont notre général avait l’air de ne pas soupçonner l’existence ; il avait repoussé tous les avis qu’on lui avait donnés de son approche ; les corps les plus distingués par leur patriotisme sont spécialement trahis & égorgés par les ennemis ; le reste est obligé de fuir. En même temps, le siège de Maësticht est entrepris, sans aucuns moyens, avec des boulets qui n’étaient pas de calibre, dirigé par une perfidie profonde, pour se défaire de nos plus braves défenseurs en les exposant sans défense à l’artillerie supérieure de nos ennemis ; le siège de Maëstricht est levé avec précipitation ; nos conquêtes sont abandonnées ; les braves Liégeois, nos fidèles alliés, devenus nos frères, sont remis sous la hache des tyrans, pour expier encore une fois leur généreux attachement à la cause de la France & de la liberté.
Dumouriez laisse son armée à Gueldre, & se rend dans la Belgique, pour se mettre à la tête de celle qui a été trahie. Va-t-il se plaindre d’avoir été lui-même trahi par les généraux ? Va-t-il les dénoncer à la Convention ? Non : il jette un voile sur la trahison, parler seulement de quelque imprudence de la part du général de l’avant-garde, montre la plus grande confiance en l’armée, & promet de la conduire à la victoire. Il donne une bataille, elle est perdue. Cependant le centre & l’aile droite, suivant lui, ont eu l’avantage ; aile gauche a plié. Or,l’aile gauche était composée précisément par ce même Miranda, qui avait trahi à Maëstricht. La suite de ce nouvel échec est la perte de la Belgique. Alors Dumouriez se découvre tout entier ; il se déclare ouvertement pour les généraux perfides : il se plaint du décret qui demande à la barre Stengel & Lanoue ; il fait le plus pompeux éloge de ce dernier, convaincu d’avoir conspiré en faveur du tyran, avant la révolution du mois d’août. Il veut que la Convention imite le sénat romain, & qu’elle remercie les traîtres de n’avoir pas désespéré de la patrie ; il menace de l’abandonner, si on contrarie aucune de ses vues. Il loue le civisme & le courage de Miranda & de tous les autres généraux & officiers, sans distinction. Il impute tous nos maux à nos soldats ; iloublie que lui-même les avait attribués à celui qui commandait à Aix-la-Chapelle ;il oublie qu’il avait lui-même vanté le courage & la conduite de l’armée, & surtout la patience héroïque avec laquelle elle avait supporté la disette & des fatigues au-dessus des forces humaines, dans tous les tems, & récemment encore au siège de Maëstricht. Il prétend que l’armée n’est qu’un ramas de lâches & de pillards : ce sont ses propres expressions. Il fait plus ; il déclame, avec la même insolence, contre les nouveaux défenseurs qui volent dans la Belgique de toutes les parties de la république pour réparer ces revers : il les appelle des brigands.
Tandis qu’il écrivait tout cela, il abandonnait la Belgique aux despotes ; il leur abandonnait nos immenses provisions qu’il y avait ramassées ; il avait ordonné aux commissaires de compter quatre millions Belges ; mais auparavant, il avait eu soin en partant d’y éteindre, autant qu’il était en lui, toute espèce d’affection pour les principes de notre révolution, & d’y allumer la haine du nom français ; il avait été jusqu’à publier hautement, dans une lettre adressée à la Convention, que la Providence punissait le peuple français de ses injustices : il avait peint Paris comme un théâtre de sang & de carnage ;la France comme le séjour du crime & de l’anarchie ;les députés patriotes de la Convention, comme des fous, ou comme des scélérats. Il avait fait des proclamations qui, sous le prétexte de réprimer certains actes impolitiques, tendaient à réveiller tous les préjugés du fanatisme & de l’aristocratie. Il avait rétabli dans leurs fonctions les administrateurs destitués pour cause d’incivisme, par les commissaires de la Convention nationale ; il avait détruit les sociétés populaires, attachées à notre cause. Il a voulu excuser tous ces forfaits, en disant que l’on avait irrité les Belges par quelques actes de cupidité & d’irreligion. Sans doute c’était le comble de l’étourderie & peut-être de la perfidie, de faire la guerre à des saints d’argent. mais, qui pouvait prévenir ces désordres, si ce n’était un général tout-puissant ? Quant aux commissaires du Conseil exécutif, contre lesquels il a paru sévir, qui les avait nommés, si ce n’est son propre parti ? N’étaient-ils pas l’ouvrage de Rolland & des ministres coalisés avec le généralissime Dumouriez ?
Ni les déclamation, ni les ordres sévères de ce général intrigant contre un Cheppi & contre d’autres créatures de la même faction ne prouveront jamais qu’il n’était point d’intelligence avec eux. Pour exécuter ce projet d’empêcher la réunion de la Belgique à la France, il fallait que la faction employât à-la-fois des agens qui s’appliquassent à mécontenter les Belges, & un général qui profitât de ce mécontentement pour les éloigner à jamais de notre révolution. On parle des désorganisateurs commis pour semer le trouble dans l’armée ; mais quoi de plus facile aux généraux que de les réprimer, que de maintenir une discipline sévère, si tous les généraux perfides n’avaient besoin de ces moyens, pour exécuter & pour pallier leurs trahisons. Lafayette aussi entretenait, autant qu’il était en lui, des désordres dans son armée, pour la calomnier, pour la dissoudre, & pour perdre la liberté ; il n’avait oublié qu’une chose ; c’était de débuter, comme Dumouriez, par un succès.
Enfin Dumouriez a levé l’étendard de la révolte, il menace de marcher vers Paris, pour ensevelir la liberté sous ses ruines ; il déclare qu’il veut protéger les ennemis de la liberté que la Convention renferme dans son sein contre les députés attachés à la cause du peuple, qu’il appelle aussi des anarchistes & des agitateurs ; il ne dissimule pas le projet de rétablir la royauté. Après avoir fait égorger une partie de l’armée, il trompe l’autre, & s’efforce de la débaucher, après l’avoir calomnié à son insu. Fier du succès de ses trahisons, gorgé des trésors qu’il a puisé dans la Hollande, dans la Belgique & dans les caisses nationales dont il s’est emparé ; fort de son alliance avec nos ennemis, à qui il a livré nos magasins ; fort de l’appui des Belges qu’il a armé contre nous, il cherche à jeter le découragement dans la nation ; il s’efforce de déshonorer le peuple français & nos braves défenseurs aux yeux des peuples étrangers ; il nous annonce hautement qu’il ne nous reste aucunes ressources. Dans ses lettres officielles à Beurnonville, il parle avec une joie insolente des troubles qui allaient éclater au milieu de nous ; il en présage de nouveaux ; il nous montre déjà les départemens du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme en état de contre-révolution ; il déclare en propres termes que nous ne pourrons tenir tête à nos ennemis étrangers, parce que nous serons obligés d’employer nos forces à réprimer ceux du dedans. Il nous montre en même temps toutes nos places sans défenses ; & il ose nous déclarer que nous n’avons d’autre parti à prendre que de demander la paix, & de transiger avec les despotes ; que dis-je ? Il ose se montrer lui-même comme médiateur.
Tel était le coupable secret de la conspiration tramée depuis long-temps contre notre liberté. Le chef de la faction l’a dévoilé au moment où il croyait pouvoir l’exécuter avec succès. En effet, tout semblait diposer pour la favoriser. Un ministre de la guerre audacieux & hypocrite avait été nommé tout exprès par la faction, pour les grands événemens qui devaient arriver. En peu de tems il avait purgé les bureaux de la guerre, les garnisons & l’armée de tous les agens & de tous les chefs patriotes ; il les avait remplacés par des hommes plus que suspects ; il avait laissé nos places fortes sans garnisons & sans munitions. On se rappelle avec quelle hardiesse il trompait la Convention nationale sur l’état de nos affaires dans la Belgique, au moment où les trahisons des généraux les avaient déjà perdues ; & comment les fausses nouvelles qu’il débitait furent démenties par les commissaires de l’Assemblée. Les autres généraux étaient entrés dans ce vaste plan de conspirations ; & pour mieux en assurer le succès, le ministre avait mis le comble à ses attentats, en faisant suspendre la fabrication des armes dans toutes nos manufactures. Dans le même temps on excitait des troubles dans une grande partie de la France, & sur-tout dans nos départemens maritimes. Les aristocrates révoltés avaient levé de grandes armées bien approvisionnées ; il avaient saccagé des villes, égorgé une multitude de patriotes ; & personne n’avait songé à réprimer cette conspiration tramée depuis quatre mois ; & ni le ministre, ni le Comité de défense générale, composé en grande partie de la faction que je dénonce, n’en avait donné avis à l’Assemblée ni à la nation. Enfin le ministre de la guerre nomme un général pour commander les patriotes, & ce général ( Marcé ) est un traître qui livre notre artillerie aux révoltés, & qui mène les défenseurs de la liberté à la boucherie. Par-tout il nomme des officiers également perfides, des Witencok, des Hermigies, des Ligonier. Il montre sur-tout dans ses choix une prédilection singulière pour les étrangers, pour les sujets des despotes, nos ennemis, & quelquefois même pour les parens de nos tyrans. Grâce à ces criminelles machinations, les troubles se prolongent, & la victoire coûte beaucoup de sang aux républicains ; on vient nous dire que le calme pourra être rétabli dans six semaine, ou deux mois. Deux mois de guerre civile & de massacres des plus zélés patriotes, quand l’infâme Dumouriez conspirait contre nous dans la Belgique, avec les despotes de l’Europe & tous les ennemis de l’intérieur ! Dumouriez, qui nous annonçait avec une insolente satisfaction que, dès le moment où l’équinoxe serait passé, nos départemens maritimes seraient envahis par les Anglais. Encouragés par tant d’attentats, les royalistes relevaient par-tout une tête audacieuse, & osaient menacer les amis de la liberté.
Hé ! pourquoi non ! ne pouvaient-ils pas compter sur l’ascendant que la faction exerçait au sein de la Convention nationale ? N’était-ce pas elle qui depuis long-tems dépravait l’esprit public, dans les départemens révoltés ? & les massacres de la Bretagne, & le fanatisme royal & religieux qui égarait les habitans des campagnes, n’étaient-ils pas les dignes fruits des écrits empoisonnés qu’elle avait semés sur la surface de cette importante contrée, de la correspondance perfide des députés qui suivaient sa bannière ; enfin, des persécutions suscitées à tous es vrais républicains ? N’était-ce pas elle qui, chaque jour, cherchait à dégoûter le peuple de la révolution, en aggravant sa misère ; qui repoussait toutes les mesures nécessaires pour réprimer la fureur de l’agiotage, pour assurer la subsistance publique, pour mettre un frein à l’excès des accaparemens ? N’était-ce pas elle qui fesait, défesait les ministres, protégeait tous leurs crimes, & multipliait les conspirateurs par l’impunité ? N’était-ce pas elle qui, à la place des loix bienfaisantes que sollicitaient les besoins pressans de la patrie, ne nous donnait que des déclamations, des libelles & des crimes.
Mais son audace redoublait sur-tout au moment où la conspiration était près d’éclater. Avec quelle perfidie ils désorganisaient tout, en criant aux désorganisateurs ! Avec quelle lâche cruauté ils cherchaient à exciter dans Paris quelques petits mouvements aristocratiques, pour préparer au traître Dumouriez le prétexte de marcher contre cette cité, & à les imputer ensuite aux patriotes dont le zèle les avait constamment écartés ! Voyez quel affreux parti ils ont voulu tirer d’un attroupement excité par eux, qui s’était porté chez quelques épiciers ! Voyez comme l’exécrable Dumouriez, dans sa lettre du 12 mars à la Convention, travestissait la vente illégale & forcée des marchandises de quelques marchands & de quelques accapareurs, en scènes de sang & de carnage, & comme il en conclut qu’il doit faire la guerre à Paris & aux patriotes.
Ils avaient dénoncé les députés patriotes qui avaient pressé la condamnation du tyran, comme des agitateurs, & il déclare qu’il veut employer la moitié de son armée à les subjuguer. Ils avaient déclamé contre les tribunes, c’est-à-dire contre la portion du peuple, qui pouvait assister aux séances de l’assemblée représentative ; ils avaient protesté solennellement qu’ils n’étaient pas libres, lorsque le tyran avait été condamné ; & il menace les tribunes, & il promet d’aller bientôt affranchir de leur influence la faction qui avait voulu sauver le tyran, qu’il appelle la saine partie de la Convention nationale. Il proclame leurs principes ; il consacre leurs calomnies ; il déclare la guerre à leurs adversaires ; il rédige, en forme de manifeste contre la république, les journaux des chroniqueurs, des Brissot, des Gorsas, des Rabaud, des Gensonné, Vergniaux & Guadte, &c. Comme eux, il veut être, dit-il, le restaurateur de l’ordre public, le fléau de l’anarchie, le libérateur de son pays ; enfin, il déclare hautement qu’il veut redonner un roi à la France. Quel était le roi qu’il voulait nous donner ? Peu importe sans doute aux républicains qui les détestent tous également. Mais c’était apparemment quelque rejetton de la famille de nos tyrans. Or, parmi les généraux de l’armée de la Belgique, je vois Valence, l’ami de Dumouriez ; Valence, le gendre de Sillery, le confident intime du ci-devant duc d’orléans ; Sillery, ci-devant comte de Genlis ; ce seul nom dit tout. Je vois le ci-devant duc de Chartres promu au commandement des armées dans un âge où les citoyens sont à peine dignes d’être soldats. Je vois, dans le camp de Dumouriez, la soeur de ce général avec la ci-devant comtesse de Genlis, la plus intrigante des femmes de l’ancienne cour, malgré ses livres sur l’éducation ; je vois le victorieux Dumouriez aux pieds de la soeur, & dans une attitude respectueuse en présence du frère.
Je vois ensuite le fils de d’Orléans écrire comme Dumouriez ; je le vois fuir précipitamment avec Dumouriez, avec Valence, & je n’ai pas besoin d’en savoir davantage pour connaître la faction toute entière. Je devine la perfidie profonde des conspirateurs qui, pour couvrir leurs complots d’un voile impénétrable, avaient feint de vouloir expulser les individus de la ci-devant famille royale, dans un temps où la France entière ne voyait aucun motif à cette proposition imprévue ; dans un temps où des patriotes de bonne foi croyaient défendre, en les repoussant, les principes & l’intégrité de la représentation nationale. Je conçois pourquoi ils demandaient l’expulsion des Bourbons en général, pour éloigner la condamnation de la royauté dans la personne de Louis XVI, & pourquoi, depuis la punition du tyran, ils ont oublié & même rejeté cette mesure, dans le moment où l’aristocratie levait l’étendard de la révolte, pour rétablir la royauté.
Les amis & les complices de Dumouriez, membres du Comité de défense générale, connaissaient sans doute ces secrets mieux que personne ; mais ils comptaient sur le succès de sa criminelle entreprise ; aussi, nous les avons vu d’abord excuser la lettre insolente du 12 mars à la Convention, sous le prétexte que ce général devait être irrité par les dénonciations faites contre lui dans les sociétés populaires. Nous les avons vus cherchant à écarter les accusations qu’ils redoutaient, en se hâtant de répéter leurs déclamations ordinaires contre les députés patriotes, contre les Jacobins, &c. &c. Là nous avons entendu Vergniaux prétendre que les opinions politiques de Dumouriez étaient indifférentes, & qu’il était intéressé à la cause de la révolution. Là nous avons vu Gensonné s’indigner de ce que l’on donnait à Dumouriez les qualifications qu’il méritait, & vanter impudemment son civisme, ses services & son génie. Il est prouvé que Gensonné entretenait une correspondance habituelle avec Dumouriez, courrier par courrier. & Gensonné voulait se charger vis-à-vis des membres de la Convention présens au comité, du rôle de médiateur auprès de son correspondant & de son ami Dumouriez. Là nous avons vu Pétion embrasser avec chaleur la défense de Miranda ; & après que j’eus dénoncé ce général, & Steigen & Lanoue, se lever en courroux, en s’écriant que l’on dénonçait toujours sans preuves ; & le siège de Maëstricht était levé, & l’armée trahie à Aix-la-Chapelle, & la Belgique livrée à nos ennemis ; & c’était le moment où on délibérait sur la révolte déclarée de Dumouriez !
Là nous avons vu le même jour Brissot, pour toutes mesures de salut public, déclarer que la Convention nationale avait perdu la confiance publique ; que son unique devoir était de faire bien vite la constitution & de partir. Je l’ai entendu proposer de s’arranger dans le comité de défense générale, sur les divers articles de la constitution qui pouvaient partager les avis, & de les faire ensuite adopter d’emblée par la Convention, pour éviter, disait-il, des débats scandaleux. Là nous avons vu les chefs de la faction refuser ensuite de discuter la conduite de Dumouriez, pour proposer un rapprochement entre ses amis & ses adversaires ; & sous le prétexte de s’expliquer, de renouveler toutes les calomnies dont ils avaient tant de fois souillé la tribune & les papiers publics. Nous avons entendu les ministres apporter à ce comité des nouvelles & des projets illusoires concertés d’avance avec eux ; nous avons vu le ministre de la guerre déclamer contre l’insubordination des soldats, sans vouloir convenir de la perfidie des généraux, citer pour preuve de leur républicanisme la fameuse blessure de Valence ; nous l’avons entendu faire l’éloge du système défensif ; nous garantir la neutralité de la Savoie & du comté de Nice, comme si ces deux départemens français étaient pour nous des contrées étrangères. Nous l’avons entendu préparer une trahison ultérieure, & nous annoncer d’avance la retraite de Custine. Nous l’avons entendu répéter tous les lieux communs de Dumouriez sur l’éloignement des Belges pour la révolution française, & le comité approuvé beaucoup toutes ces vues. Nous avons entendu surtout Brissot, à ce propos-là même, déclarer que nous étions trop heureux que l’esprit public des Belges ne fût pas plus français, par la raison, qu’en renonçant à la Belgique, nous pourrions, avec plus de facilité, obtenir la paix des puissances ennemies. Brissot fut toujours le plus hardi des conspirateurs à jetter en avant les idées de transaction ouvertement proposées par Dumouriez. Dans la discussions de l’affaire de Louis XVI,il osa demander qu’il fût sursis à l’exécution du décret qui le condamnait, jusqu’à ce que l’opinion des puissances étrangères sur ce jugement nous fût manifestée. C’est lui qui nous avait menacé de la colère des rois de l’Europe, si nous osions prononcer la peine de mort contre le tyran. Brissot ! Combien de faits n’aurais-je pas à rappeller sur lui & sur la faction dont il est le chef !
Enfin, nous avons vu le Comité de défense générale s’appliquer constamment à retarder toute mesure nécessaire au salut public, pour donner le tems à Dumouriez d’exécuter sans obstacle ses détestables projets. Ensuite on le recomposa de 25 membres qui lui appartenaient tous, excepté cinq à six patriotes qu’il y avait introduits par une sorte de transaction, pour endormir les amis de la liberté, & faire servir des noms qui inspiraient la confiance à couvrir leurs perfidies. Aussi Dumouriez écrivait-il que ce comité était bien composé, à l’exception de 7 à 8 membres. Indigné de tant de perfidies, & reconnaissant le motif qui avait engagé les intrigans à me choisir, je déclarai hautement à la Convention nationale, que ce comité n’était que le conseil de Dumouriez, & que, ne pouvant lutter contre la majorité, je donnais publiquement ma démission. Nous avons vu avec douleur, qu’égarée par la même influence, la Convention avait envoyé à Dumouriez cinq commissaires dont l’arrestation était concertée d’avance, & sur-tout ce Beurnonville qui fut arrêté par son complice ? Que dirons-nous de la comédie grossière de cet aide-de-camp qui vint deux jours après raconter à la barre de l’assemblée nationale, qu’il avait reçu un coup de sabre d’un satellite de Dumouriez & de cette pasquinade plus grossière encore de Dumouriez qui se plaignait de ce que son confident, Beurnonville, était venu pour l’assassiner au milieu de son armée, & qui ensuite disait hautement qu’il répondait de lui, parce qu’il était son ami ?
Qu’avons-nous vu depuis ce temps jusqu’au moment où je parle ? aucune mesure décisive pour le salut de la patrie ; parce que l’influence de la faction les a toutes dirigées. Quelques individus ont été mis en état d’arrestation ; le scellé a été apposé sur leurs papiers : mais après qu’ils ont été bien & dument avertis, & que plusieurs d’entr’eux, tels que Sylleri & d’Orléans, ont eux-mêmes invoqué cette formalité. Bonne-Carrère, Laclos, Sauvin, & d’autres également suspects, ont été relâchés aussitôt qu’arrêtés. On a mis en otage tous les Bourbons ; mais il fallait remettre les prévenus entre les mains de la justice. Les constituer en otages & les envoyer aux extrémités de la République, qu’était-ce autre chose que les soustraire à l’empire de la loi & à l’autorité du tribunal révolutionnaire, que les conspirateurs redoutent. Qu’était-ce autre chose que les réserver, en quelque sorte, comme des objets d’échange avec nos commissaires arrêtés par la connivence de Dumouriez, avec les chefs de la faction, & comme des moyens de transition avec les tyrans ?
Je demande que les individus de la famille d’Orléans dite Égalité, soient traduits devant le tribunal révolutionnaire, ainsi que Sylleri, sa femme, Valence, & tous les hommes spécialement attachés à cette maison ; que ce tribunal soit également chargé d’instruire le procès de tous les autres complices de Dumouriez. Oserai-je nommer ici des patriotes tels que Brissot, Vergniaux, Gensonné, Guadet ? — Je renouvelle en ce moment la même proposition que j’ai déjà faite à l’égard de Marie-Antoinette d’Autriche. Je demande que la Convention nationale s’occupe ensuite, sans relâche, des moyens tant de fois annoncés de sauver la patrie, & de soulager la misère du peuple.