Mon collègue et ami M. Hymans, dans son très beau discours, a abordé un autre problème délicat dont la Société des Nations s’est saisie et à propos duquel elle a réuni une excellente et fort intéressante documentation. C’est le problème du désarmement économique ; car il n’y a pas seulement à faire régner parmi les peuples la paix du point de vue politique, il faut aussi faire régner la paix économique.
M. Hymans a proposé certaines solutions que, pour ma part, j’envisagerai avec sympathie. Mais, qu’on me permette de le dire, dans ce domaine aussi, il faut que la Société des Nations se décide à avancer d’un pas ferme. Il ne faut pas qu’elle traite ces questions avec la timidité que pourraient lui inspirer les difficultés de la tâche.
Je ne crois pas à la solution d’un tel problème – j’entends une solution véritable, c’est-à-dire de nature à assurer la paix économique – par des moyens de pure technicité. Certes, il faut avoir recours aux conseils techniques ; il faut s’en entourer et les respecter ; il faut accepter de travailler sur la base d’une documentation sérieuse et solide. Mais si nous nous en remettions aux seuls techniciens du soin de régler ces problèmes, nous devrions tous les ans, à chaque Assemblée, nous résigner à faire de très beaux discours et à enregistrer avec amertume bon nombre de déceptions.
C’est à la condition de se saisir eux-mêmes du problème et de l’envisager d’un point de politique que les gouvernements parviendront à le résoudre. S’il demeure sur le plan technique on verra tous les intérêts particuliers se dresser, se coaliser, s’opposer : il n’y aura pas de solution générale.
Ici, avec quelque préoccupation, je pourrais dire avec quelque inquiétude, qui fait naître en moi une timidité dont vous voudrez bien m’excuser, j’aborde un autre problème. Je me suis associé pendant ces dernières années à une propagande active en faveur d’une idée qu’on a bien voulu qualifier de généreuse, peut-être pour se dispenser de la qualifier d’imprudente. Cette idée, qui est née il y a bien des années, qui a hanté l’imagination des philosophes et des poètes, qui leur a valu ce qu’on peut appeler des succès d’estime, cette idée a progressé dans les esprits par sa valeur propre. Elle a fini par apparaître comme répondant à une nécessité. Des propagandistes se sont réunis pour la répandre, la faire entrer plus avant dans l’esprit des nations, et j’avoue que je me suis trouvé parmi ces propagandistes.
Je n’ai cependant pas été sans me dissimuler les difficultés d’une pareille entreprise, ni sans percevoir l’inconvénient qu’il peut y avoir pour un homme d’Etat à se lancer dans ce qu’on appellerait volontiers une pareille aventure. Mais je pense que, dans tous les actes de l’homme, voire les plus importants et les plus sages, il y a toujours quelque grain de folie ou de témérité. Alors, je me suis donné d’avance l’absolution et j’ai fait un pas en avant. Je l’ai fait avec prudence. Je me rends compte que l’improvisation serait redoutable et je ne me dissimule pas que le problème est peut-être un peu en dehors du programme de la Société des Nations ; il s’y rattache cependant, car depuis le Pacte, la Société n’a jamais cessé de préconiser le rapprochement des peuples et les unions régionales, même les plus étendues.
Je pense qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité, qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître. C’est ce lien que je voudrais m’efforcer d’établir.
Evidemment, l’Association agira surtout dans le domaine économique : c’est la question la plus pressante. Je crois que l’on peut y obtenir des succès. Mais je suis sûr aussi qu’au point de vue politique, au point de vue social, le lien fédéral, sans toucher à la souveraineté d’aucune des nations qui pourraient faire partie d’une telle association, peut être bienfaisant, et je me propose, pendant la durée de cette session, de prier ceux de mes collègues qui représentent ici des nations européennes de bien vouloir envisager officieusement cette suggestion et la proposer à l’étude de leurs gouvernements, pour dégager plus tard, pendant la prochaine session de l’Assemblée peut-être, les possibilités de réalisation que je crois discerner.»