Messieurs, le Gouvernement se présente devant vous au lendemain d’élections générales où la sentence du suffrage universel, notre juge et notre maître à tous, s’est traduite avec plus de puissance et de clarté qu’à aucun moment de l’histoire républicaine. Le peuple français a manifesté sa décision inébranlable de préserver contre toutes les tentatives de la violence ou de la ruse les libertés démocratiques qui ont été son Å“uvre et qui demeurent son bien. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Il a affirmé sa résolution de rechercher dans des voies nouvelles les remèdes de la crise qui l’accable, le soulagement de souffrances et d’angoisses que leur durée rend sans cesse plus cruelles, le retour à une vie active, saine et confiante.
Enfin, il a proclamé la volonté de paix qui l’anime tout entier. La tâche du Gouvernement qui se présente devant vous se trouve donc définie dès la première heure de son existence.
Il n’a pas à chercher sa majorité, ou à appeler à lui une majorité. Sa majorité est faite. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs.) Sa majorité est celle que le pays a voulue. Il est l’expression de cette majorité rassemblée sous le signe du front populaire. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Il possède d’avance sa confiance et l’unique problème qui se pose pour lui sera de la mériter et de la conserver. (Applaudissements.)
Il n’a pas à formuler son programme. Son programme est le programme commun souscrit par tous les partis qui composent la majorité, et l’unique problème qui se pose pour lui sera de le résoudre en actes. (Nouveaux applaudissements.) Ces actes se succéderont à une cadence rapide, car c’est de la convergence de leurs effets que le Gouvernement attend le changement moral et matériel réclamé par le pays. Dès le début de la semaine prochaine, nous déposerons sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous demanderons aux deux Assemblées d’assurer le vote avant leur séparation. (Très bien ! très bien !)
• Ces projets de loi concerneront :
– L’amnistie,
– La semaine de quarante heures,
– Les contrats collectifs,
– Les congés payés,
– Un plan de grands travaux (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche), c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique (Très bien ! très bien !),
– La nationalisation de la fabrication des armes de guerre (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur plusieurs bancs au centre),
– L’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres denrées agricoles, comme le vin, la viande et le lait (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs),
– La prolongation de la scolarité (Très bien ! très bien !),
– Une réforme du statut de la Banque de France (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche), garantissant dans sa gestion la prépondérance des intérêts nationaux,
– Une première revision des décrets-lois en faveur des catégories les plus sévèrement atteintes des agents des services publics et des services concédés, ainsi que des anciens combattants. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
Sitôt ces mesures votées, nous présenterons au Parlement une seconde série de projets visant notamment le fonds national de chômage, l’assurance contre les calamités agricoles, l’aménagement des dettes agricoles (Applaudissements), un régime de retraites garantissant contre la misère les vieux travailleurs des villes et des campagnes. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.) A bref délai, nous vous saisirons ensuite d’un large système de simplification et de détente fiscale, soulageant la production et le commerce, ne demandant de nouvelles ressources qu’à la contribution de la richesse acquise, à la répression de la fraude, et surtout à la reprise de l’activité générale. (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)
Tandis que nous nous efforcerons ainsi, en pleine collaboration avec vous, de ranimer l’économie française, de résorber le chômage, d’accroître la masse des revenus consommables, de fournir un peu de bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable richesse (Applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs à gauche), nous aurons à gouverner le pays. Nous gouvernerons en républicains. Nous assurerons l’ordre républicain. (Applaudissements.) Nous appliquerons avec une tranquille fermeté les lois de défense républicaine. (Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.) Nous montrerons que nous entendons animer toutes les administrations et tous les services publics de l’esprit républicain. (Vifs applaudissements a l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.) Si les institutions démocratiques étaient attaquées, nous en assurerions le respect inviolable avec une vigueur proportionnée aux menaces ou aux résistances. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs. – Interruptions à droite.)
Le Gouvernement ne se méprend ni sur la nature ni sur la gravité des difficultés qui l’attendent. Pas plus qu’il ne se les dissimule à lui-même, il n’entend les dissimuler au pays. (Très bien ! très bien !) Avant peu de jours, il dressera publiquement un premier bilan de la situation économique et financière (Applaudissements) tel qu’on peut l’établir au départ de la présente législature. II sait qu’à un pays comme la France, mûri par un long usage de Ia liberté politique, on peut parler sans crainte le langage de la vérité et que la franchise des gouvernants rassure – bien loin de l’altérer – la confiance nécessaire de la nation en elle-même. (Applaudissements.) quant à nous, l’immensité de la tâche qui nous incombe, bien loin de nous décourager ne fait qu’accroître notre ardeur, (Nouveaux applaudissements.)
C’est dans le même esprit et avec la même résolution que nous entreprendrons la conduite des affaires internationales. La volonté du pays est évidente. Il veut la paix. Il la veut unanimement. Il Ia veut indivisible (Applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et au centre) avec toutes les nations du monde et pour toutes les nations du monde. Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) Il identifie la paix avec le respect de la loi internationale et des contrats internationaux, avec la fidélité aux engagements pris et aux paroles données. II souhaite ardemment que l’organisation de la sécurité collective permette d’arrêter la concurrence effrénée d’armements où l’Europe se trouve entraînée tout entière et conduise au contraire a son corollaire logique, c’est-à-dire à l’entente internationale pour la publicité, la réduction progressive et le contrôle effectif des armements nationaux. (Applaudissements.) Le Gouvernement aura pour ligne de conduite cette volonté unanime qui n’est nullement un signe d’abandon ni une marque de faiblesse. La volonté de paix d’une nation comme la France, quand elle est sure d’elle-même, quand elle s’appuie sur la morale et sur l’honneur, sur la fidélité à ses amitiés éprouvées, sur la sincérité profonde de l’appel qu’elle adresse à tous les peuples, peut être proclamée avec éclat et avec fierté. (Applaudissements prolongés à l’extrême gauche, à gauche et sur plusieurs bancs au centre).
Tel est notre programme d’action. Pour l’accomplir, nous ne revendiquons pas d’autre autorité que celle qui est pleinement compatible avec les principes de la démocratie. Mais nous avons besoin de posséder pleinement celle-là. Ce qui crée l’autorité dans une démocratie, c’est la rapidité et l’énergie d’une action méthodiquement concertée, c’est Ia conformité de cette action avec les décisions du suffrage universel (Très bien ! très bien !), c’est la fidélité aux engagements publics pris vis-à-vis du corps électoral (Applaudissements), c’est la ferme détermination de mettre un terme à toutes les formes de la corruption (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur plusieurs bancs au centre.) Ce qui la légitime, c’est la double confiance du Parlement et du pays.
Nous avons besoin de l’une et de l’autre. Le Parlement républicain, délégataire de la souveraineté, comprendra avec quelle impatience de grandes réalisations sont attendues, combien il serait périlleux de décevoir l’espoir avide de soulagement, de changement, de renouvellement, qui n’est pas particulier a une majorité politique ou à une classe sociale, mais qui s’étend à la nation tout entière. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs). Il démontrera ainsi, une fois de plus, la partialité et la vanité des tentatives faites pour le discréditer devant l’opinion publique. De son coté, le pays comprendra que la tâche dont il a chargé la Chambre nouvelle et dont la majorité nous charge à son tour, ne peut s’accomplir que si le Gouvernement en conserve la libre direction comme la responsabilité que si le maintien de la concorde et de la sécurité publique fournit à son travail les conditions d’efficacité pensables, que si les partis politiques et les organisations corporatives groupées dans le rassemblement populaire coopèrent tous à son effort. (Applaudissements.)
Nous avons l’ardent désir que les premiers résultats des mesures que nous allons mettre en Å“uvre avec votre collaboration se fassent promptement sentir. Nous n’en attendons pas seulement l’apaisement de misères présentes dont nous nous sentons, comme vous tous, étroitement solidaires. Nous espérons ranimer jusque dans la profondeur de la nation sa foi en elle-même dans son avenir, dans son destin. Étroitement unis à la majorité dont nous sommes l’émanation, nous sommes convaincus que notre action doit et peut répondre à toutes les aspirations généreuses, bénéficier à tous les intérêts légitimes. La fidélité à nos engagements, telle sera notre règle. Le bien public, tel sera notre but. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.). – MM. les députés siégeant sur ces bancs se lèvent et applaudissent longuement).